Le compte courant d’associé s’analyse en une avance faite par un associé à la société, conférant à l’apporteur la qualité de créancier social. A la relation née du contrat de société s’en ajoute donc une seconde, régie par le droit commun des obligations et son corollaire la liberté contractuelle, qui procède d’un contrat de prêt.
Ces deux relations demeurent toutefois indépendantes l’une de l’autre, celle d’associé n’absorbant pas celle de créancier, ce dont il résulte que la cession des droits sociaux n’emporte pas en elle-même cession du compte courant ouvert au nom du cédant. Cette solution est rappelée avec constance par la Cour de cassation, qui a par exemple censuré l’arrêt d’appel ayant considéré la cession des comptes courants indissociable de celle des parts sociales au motif que ceux-ci « avaient fait partie des négociations et avaient été pris en compte par les parties pour la détermination du prix des parts cédées ». Les juges d’appel se sont ainsi vu reprocher de ne pas avoir constaté l’existence d’un accord de cession ayant porté sur les comptes courants. En effet, si le sort de son compte courant est fréquemment réglé lorsqu’un associé cède ses titres, au travers de son remboursement, de sa cession voire de son abandon, cela ne présente aucun caractère d’automaticité et ne peut par conséquent résulter que d’une convention non-équivoque (1).
En outre, un compte courant ne pouvant être ramené au rang de simple accessoire des droits sociaux de son titulaire, la clause communément stipulée dans les actes de cession selon laquelle le cessionnaire est subrogé dans les droits et obligations du cédant à l’égard de la société ne peut être interprétée comme emportant transfert au profit du cessionnaire du compte courant du cédant.
La cession du compte courant ne se présume pas
C’est aux juges du fond qu’il incombe d’apprécier s’il y a ou non accord des parties sur la cession d’un compte courant. La Cour de cassation (2) a ainsi récemment approuvé une Cour d’appel qui avait considéré comme formant un tout indivisible la cession dans un même acte de parts d’une société et des créances en compte courant que détenaient les cédants à son encontre, ledit acte précisant sans faire de distinction le prix global moyennant lequel la cession était consentie et acceptée. Les juges avaient valablement retenu que la cession de parts sociales était conditionnée à celle des comptes courants, les parties étant convenues de souscrire des obligations cumulatives de sorte que la demande de nullité pour cause de dol dont ils étaient saisis, bien que formulée comme une demande d’annulation de la seule cession des parts sociales, tendait également à l’annulation de la cession des créances de compte courant.
En l’absence de terme spécifié, l’avance consentie constitue un prêt à durée indéterminée dont le remboursement peut, sauf clause contraire, être sollicité à tout moment. A défaut de stipulation contraire, la cession de ses titres par un associé sans cession concomitante de son compte courant n’emporte pas clôture de ce dernier. Aussi le délai de prescription de l’action en remboursement du solde créditeur du compte, ramené de dix à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, ne court-il qu’à compter du jour où l’associé cédant en demande le remboursement, le rendant alors exigible. Une Cour d’appel en a valablement déduit que la vente de ses titres par le cédant était sans incidence sur la faculté pour lui de solliciter le remboursement de son compte courant, le délai de prescription de l’action en paiement de son solde n’ayant couru qu’à partir de la date à laquelle celui-ci en avait expressément sollicité le remboursement (3).
A noter enfin que la perte de la qualité d’associé résultant de la cession de droits sociaux ne remet pas en cause la dérogation au monopole bancaire dont bénéficient les avances en courant d’associé (4), dont les conditions doivent être appréciées à la date d’octroi de l’avance.
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1. Cf. Droit des Sociétés n° 8-9, août-sept. 2018, page 54.
2. Com. 7 juillet 2021, n° 19-20.746.
3. Com. 27 mai 2021, n° 19-18.983.
4. Article L. 312-2 du Code monétaire et financier.