L’amendement Carrez, codifié à l’article 209 IX du Code général des impôts, prévoit la réintégration des intérêts payés au titre de la dette d’acquisition de titres de participation lorsque la société acquéreuse ou une société liée établie en France n’exerce pas un contrôle sur les titres. L’administration fiscale traduit ce contrôle par l’exigence que la société française constitue un «centre de décision autonome».
Par Thierry Granier, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale et Benoît Foucher, avocat, spécialisé en fiscalité internationale et dans les aspects fiscaux des financements structurés.
Les fonds d’investissement créent généralement des holdings d’acquisition sous forme de véhicule spécialement dédié à cet objet («SPV»). La question est alors d’évaluer si ces SPV, à la substance généralement réduite, peuvent constituer un «centre de décision autonome».
La notion de centre de décision autonome, une notion protéiforme
Le Bofip (BOI-IS-BASE-30-50-10-20121130, n°100) précise que l’utilisation de SPV lors d’opérations d’acquisition par un véhicule de capital risque ne constitue pas une présomption que le véhicule ne serait pas un «centre de décision autonome». Mais cette précision «négative» ne permet pas d’évaluer, de façon positive, à partir de quel niveau de substance un SPV pourrait constituer un tel centre de décision autonome. Un facteur d’incertitude, et non des moindres, tient au fait que cette notion semble purement fiscale, et ne peut être a priori rattachée à aucune définition tirée du droit des sociétés.
Un autre facteur d’incertitude tient à l’approche de l’administration fiscale qui, si elle retient la présence de représentants du SPV dans les organes décisionnaires de la cible, invoque également des notions plus floues comme la preuve de l’existence d’une politique stratégique propre au centre de décision autonome décidée en interne, voire accorde une force probante aux documents internes de l’entreprise (par exemple, des organigrammes permettant de déterminer le processus de décision applicable dans la société cible).
Sur cette base, deux visions de l’autonomie pourraient être mises en avant. La première est formelle : à partir du moment où les organes sociaux du SPV se réunissent en France pour prendre des décisions relatives à la société cible, le centre de décision autonome serait constitué. La seconde est plus subjective : il faudrait s’interroger sur l’autonomie de la prise de décision par rapport au fonds étranger, procéder à une analyse poussée des décisions qui peuvent être prises par les représentants en France, sans avoir à référer en aucune façon au fonds étranger. Cette approche subjective est, par définition, source d’une certaine insécurité juridique.
La fenêtre probatoire instituée par l’amendement Carrez
Les fonds étrangers, utilisant des SPV français, doivent donc pour chacun de leur holding d’acquisition, s’interroger sur la signification de cette notion de centre de décision autonome. La question est d’importance puisqu’ils doivent démontrer en 2013 que leurs SPV constituent des centres de décision autonomes, à défaut de quoi, les intérêts afférents à la dette d’acquisition ne seront pas déductibles pour une période, au maximum, de 8 ans. Il est en effet d’une importance primordiale d’avoir à l’esprit que l’amendement Carrez institue une fenêtre pour rapporter la preuve du contrôle. Cette fenêtre passée, la limitation de déduction des intérêts s’appliquera quand bien même la preuve du contrôle pourrait être rapportée.
On comprend bien l’intérêt du dispositif pour des multinationales qui entendaient réduire artificiellement l’assiette taxable française en faisant acquérir des filiales étrangères par une entité française. La lettre du texte vise précisément cette situation. En revanche, on a plus de mal à concevoir que l’amendement Carrez puisse s’appliquer, dans l’esprit, à des fonds étrangers apportant des capitaux à des sociétés françaises. Curieux message que celui adressé aux investisseurs étrangers en cette période de crise…