En soumettant les gains sur titres au barème progressif de l’impôt sur le revenu («IR»), la loi de finances pour 2013 a profondément modifié le régime des plus-values mobilières. Le régime des gains susceptibles d’être réalisés dans le cadre de management packages de LBO, aussi bien d’ailleurs que celui des pertes encourues à cette occasion, doivent être revisités.
Par Luc Jaillais, avocat associé, spécialisé en fiscalité, Cyril Modicom, avocat spécialisé en fiscalité et Philippe Gosset, avocat spécialisé en fiscalité.
Philosophie générale
Le législateur aligne ainsi le régime des plus-values sur celui des autres revenus, dont notamment ceux d’activités. Pour autant, les conditions intrinsèques de qualification d’une plus-value restent inchangées : elle est la contrepartie d’un véritable investissement en capital, payé au juste prix et soumis au risque d’entreprise. Et peu importe que la faculté d’investir ait été obtenue à raison de l’exercice d’une quelconque fonction au service de la société concernée. Le principe fondamental posé par le Conseil d’Etat reste d’actualité : «le seul fait de contribuer par ses compétences à la valorisation du capital ne suffit pas à requalifier la plus-value réalisée lors de la cession de droits sociaux»(1), même si certains juges du fond s’en écartent fort malencontreusement(2).
On notera également que le régime des «carried interest» n’a pas été modifié : ils restent gouvernés par l’«amendement Arthuis» de 2008. Contrairement à ce que l’on peut entendre ici ou là, il ne s’est pas agi à l’époque de faire accéder un gain de nature salariale à un régime de plus-value, mais simplement d’évacuer une bonne fois pour toutes les interminables débats contentieux relatifs à la qualification en posant des conditions objectives d’investissement.
Régime de droit commun des plus-values
Depuis le 1er janvier 2013, les plus-values de cessions de valeurs mobilières sont soumises à l’impôt calculé selon le barème progressif, dont le taux marginal atteint 45 % voire 49 % en cas d’application de la Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. S’y ajoutent 15,5 % de prélèvements sociaux. D’où une ponction fiscale pouvant atteindre 64,5 %. Souvenons-nous qu’en 2011, le taux global d’imposition était de 34,5 % et il n’était encore «que» de 39,5 % en 2012. Pour atténuer ce «choc fiscal», un mécanisme d’abattement progressif a été institué : la plus-value soumise à l’IR est réduite de 20 % pour une détention comprise entre 2 et 4 ans, de 30 % entre 4 et 6 ans, puis de 40 % au-delà de 6 ans.
Dans ce dernier cas, le taux marginal de l’IR s’en trouve ramené à 27 %. Soit potentiellement 46,5 % au total avec la Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et les prélèvements sociaux, qui restent liquidés sur le montant brut de la plus-value. La CSG est certes déductible à hauteur de 5,1 %, mais seulement des revenus de l’année suivante. Quoique l’abattement s’applique littéralement aux «gains nets», il faut a priori craindre que l’administration fiscale considère qu’il frappe également les moins-values, dupliquant une position déjà prise à l’égard d’un précédent régime du même type. Les porteurs de titres en perte seront donc incités à les céder le plus tôt possible, ce qui irait à rebours de l’objectif de fidélisation poursuivi par la loi…
Par ailleurs, la portée de ce régime d’abattement est limitée, en ce qu’il ne concerne que les «cessions d’actions, de parts de sociétés, de droits portant sur ces parts ou actions, ou de titres représentatifs de ces mêmes parts, actions ou droits». Les gains de cession de bons de souscription d’actions (BSA) et d’obligations – convertibles ou remboursables en actions par exemple - n’en bénéficient pas. En revanche, les actions à bons de souscription d’actions (ABSA) ou les actions de préférence devraient pouvoir bénéficier de ce mécanisme.
La pression fiscale attachée aux cessions de BSA et d’obligations (potentiellement 64,5 %) devrait donc conduire à les écarter dans la plupart des management packages. Cette nouvelle donne fiscale pourrait bien sonner le glas des bons «secs» et des obligations dans la composition des management packages, et en toute occurrence réduire la rentabilité de ceux-ci. A cet égard, il reste à explorer les possibilités d’optimisation des plus-values régulièrement obtenues, qui s’avèrent bien… maigres.
Option pour le régime «pigeon» ?
A titre alternatif à l’application de l’abattement, la loi prévoit la possibilité de maintenir l’IR sous forme de taxation au taux forfaitaire de 19 %. Mais le management package est en pratique exclu de ce régime en raison de ses nombreuses conditions, telle que l’obligation de détention d’au moins 10 % de droits dans la société cédée pendant au moins 2 ans au cours des 10 dernières années précédant la cession. Ou encore l’obligation pour les dirigeants-mandataires sociaux d’avoir exercé de manière continue leur fonction au cours des 5 dernières années. Et l’éligibilité des titres de sociétés holdings, fussent-elles animatrices de leur groupe, est encore incertaine.
Régime des bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise
Le régime très avantageux des BSPCE reste intact : la plus-value de cession des titres souscrits en exercice de ces bons n’est imposée à l’IR qu’au taux de 19 %, voire 30 % lorsque le bénéficiaire exerce son activité dans la société depuis moins de trois ans (plus les 15,5 % de prélèvements sociaux). Encore faut-il, notamment, que la société ait moins de 15 ans ans et que son capital soit détenu à hauteur de 25 % par des personnes physiques.
Régime de report-exonération
Ce régime d’exonération de l’IR, soumis à l’engagement de réinvestir dans un délai de 24 mois au moins 50 % du montant de la plus-value net des prélèvements sociaux, ne paraît guère plus praticable dans le cadre du management package. En effet, il est réservé aux contribuables détenant depuis 8 ans au moins 10 % de droits dans la société.
Régime d’«apport-cession»
Désormais, si l’apporteur a le contrôle de la holding bénéficiaire de l’apport, il relève d’un régime de report d’imposition de la plus-value déclarée, qui cesse notamment en cas de revente dans les 3 ans par la holding des titres reçus en apport. Le maintien du report peut cependant être obtenu en cas de réinvestissements adéquats par la holding de 50 % du produit de la vente. La plus-value reste en régime automatique de sursis d’imposition si l’apporteur n’a pas le contrôle de la holding. Au regard de la jurisprudence, cette circonstance devrait a priori éloigner le risque de rectification pour abus de droit même en cas de revente rapide des titres par la holding.
Régime de «donation-cession»
L’effet de purge de la donation préalable à la vente est bien connu. Le législateur a entendu faire échec à cette optimisation, qui implique au demeurant l’appauvrissement définitif du donateur. En cas de revente des titres par le donataire dans les 18 mois de la donation, la loi de finances pour 2013 le rendait redevable de l’impôt sur la plus-value attachée aux titres donnés. Cependant, le Conseil constitutionnel a annulé cette mesure. L’optimisation reste donc praticable, mais il n’est pas exclu que le législateur revienne à la charge avec une contre-mesure reconfigurée.
Menace sur le PEA ?
Les PEA de plus de 5 ans d’âge confèrent l’exonération d’IR des plus-values réalisées en leur sein. Dans son offensive contre les packages de LBO, l’administration fiscale considère son usage comme une circonstance aggravante passible de l’abus de droit. Pour autant, réaliser dans le PEA une vraie plus-value, fût-elle de «manager», c’est-à-dire la contrepartie équitable d’un risque réel en capital, reste néanmoins un droit. Mais qui l’exercera encore sous la menace d’une procédure accablante, fût-elle injustifiée ? Quoi qu’il en soit, une réforme du PEA qui en limiterait les effets s’annonce semble-t-il et, ce faisant, «pacifiera» peut-être ce sujet ?
(1). 18 janvier 2006 «Serfarty».
(2). CAA Paris 28 novembre 2012 «Bonny» (commentaires p4).