La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Avril 2013

Qualification fiscale des management packages : fausse note dans la jurisprudence

Publié le 18 février 2014 à 14h28    Mis à jour le 12 mars 2014 à 10h04

Laurent Hepp et Jean-Charles Benois

Aligner les intérêts du management sur ceux des investisseurs financiers en incitant ses membres à co-investir et en les associant ainsi à la plus ou moins-value de sortie est un des fondements de la réussite économique des opérations de LBO.

Par Laurent Hepp, avocat associé, spécialisé en fiscalité et Jean-Charles Benois, avocat, spécialisé en fiscalité.

L’administration fiscale a cependant indiqué de longue date son intention de requalifier l’éventuel gain de sortie en salaires (ou, le cas échéant, en bénéfices non commerciaux ou revenus distribués) lorsque ce gain trouve sa source dans le seul exercice des fonctions dirigeantes. Les tentatives les plus récentes avaient toutefois plutôt fait long feu devant les juridictions dès lors qu’une vraie prise de risque en capital était constatée(1). En matière de requalification en salaires en particulier, les juges ont ainsi considéré à plusieurs reprises que l’Administration ne démontrait pas soit l’existence d’un avantage(2), soit son lien exclusif avec le contrat de travail(3). Dans une récente décision, la cour administrative d’appel de Paris (2e ch., n°11PA03464, 28 novembre 2012) s’écarte pourtant de façon surprenante de ce courant jurisprudentiel.

En l’espèce, dans le cadre de la reprise d’un groupe familial par des investisseurs financiers, un directeur général d’une filiale du groupe avait acquis de ces derniers, contre le versement d’une indemnité d’immobilisation d’environ 13 600 euros, une option d’achat sur des titres de la holding de reprise, pour un prix d’exercice égal à leur valeur de marché à la date d’octroi de l’option. L’exercice de cette option était subordonné, certes à la présence du dirigeant au sein du groupe pendant au moins cinq ans, mais aussi à la constatation préalable d’un taux de rentabilité interne de l’investissement… d’au moins 25 % par an ! A défaut, l’option était caduque et la prime définitivement perdue. Cinq ans plus tard, cet objectif de valeur ayant été atteint, le dirigeant exerçait l’option, revendait immédiatement après les titres ainsi acquis, et réalisait un gain de plus de deux millions d’euros. L’Administration requalifiait alors la totalité du gain net en salaires.

Renversant la décision du tribunal administratif de Paris qui avait fait application des principes jurisprudentiels susvisés pour censurer cette requalification, la Cour a notamment estimé que l’option d’achat n’avait été accordée qu’en raison de la qualité de dirigeant salarié du bénéficiaire, que celui-ci n’avait pas pris de véritable risque en capital, et enfin que, l’imposition de l’avantage prétendument consenti devant résulter de son «encaissement», l’action en reprise de l’Administration n’était pas prescrite.

Cette décision laisse perplexe à au moins deux titres. D’une part, la Cour refuse de prendre en compte le risque en capital pris par le bénéficiaire au seul motif qu’en l’espèce le montant de l’indemnité versée serait «modique».

Les conclusions du rapporteur public confirment que cette appréciation factuelle est portée au regard du gain réalisé cinq ans plus tard. Cette approche est pour le moins déformante, puisqu’elle présuppose le gain, alors que la décision d’investissement prise par le contribuable le fut ex ante, comme un pari sur l’évolution à terme de la valeur du groupe. D’autre part, le rejet de l’argument de la prescription de l’action en reprise de l’Administration ne convainc pas.

Dans la mesure en effet où la Cour considère que l’avantage prétendument consenti au bénéficiaire résultait de la possibilité qui lui avait été accordée à l’origine d’acquérir des actions en fonction de l’évolution de leur valeur, on peut penser qu’elle devait se placer à la date à laquelle cet avantage en nature allégué avait été consenti, soit cinq ans avant la réalisation du gain, et constater dès lors la prescription triennale.

C’est d’ailleurs l’analyse qui a été retenue par la cour administrative d’appel de Nancy dans une situation similaire relative à des actions souscrites pour une valeur décotée(4). II reste donc à espérer que le Conseil d’Etat saisira prochainement l’occasion de restaurer l’unisson dans un concert jurisprudentiel jusqu’ici plutôt harmonieux.

(1). Cf. notamment Management packages : le juge de l’impôt au secours des managers de LBO, par Martine Ebrard-Grellety et Laurent Hepp, dans la Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equity du 4 octobre 2010. Voir également CAA Paris 29 juillet 2011, n°09PA04569, 9e ch.

(2). CAA Lyon 6 octobre 2011, n°10LY00899, 5e ch.

(3). TA Lyon 8 décembre 2009, n°0606566, 6e ch. ; TA Paris 25 mai 2011, n°0911119, 1re sect. 1re ch.

(4). CAA Nancy 16 mai 2007, n°05NC01153, 2e ch.


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