La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Avril 2013

Nouvelle sanction prononcée par l’ADLC pour défaut de notification d’une opération de concentration

Publié le 18 février 2014 à 15h09    Mis à jour le 12 mars 2014 à 10h04

Denis Redon

Par une décision du 31 janvier 2013(1), l’Autorité de la concurrence (ci-après ADLC) vient de rappeler que le manquement à l’obligation de notification d’une opération de concentration est «par nature, une infraction grave à l’ordre public économique dans la mesure où ce manquement prive l’Autorité de la concurrence de toute possibilité de contrôler, comme le prévoit le code de commerce, un projet de concentration préalablement à sa réalisation […]».

Par Denis Redon, avocat associé en droit de la concurrence.

L’ADLC, après avoir précisé que les effets même éventuellement bénéfiques de l’opération en cause sur la concurrence importent peu, qualifie cette d’infraction de «grave par nature». Ce faisant, l’ADLC conforte sa pratique décisionnelle(2) relative aux sanctions pour mise en œuvre anticipée d’une opération de concentration contrôlable avant qu’elle ait été notifiée (et autorisée par l’ADLC), et se situe à cet égard dans la ligne du droit de l’UE (cf. décision du Tribunal de l’Union européenne dans l’arrêt rendu le 12 décembre 2012(3) confirmant le prononcé d’une amende de 20 millions d’euros).

Toutefois, l’ADLC accepte de tempérer les conséquences de ce «manquement grave par nature» en précisant que son appréciation du manquement dépendra des circonstances concrètes de l’espèce, circonstances qui pourront être tant aggravantes qu’atténuantes. Dans une précédente décision du 11 mai 2012, l’ADLC avait ainsi tenu compte favorablement d’une coopération de l’entreprise au cours de l’instruction et de la dénonciation spontanée du manquement. En revanche, ont été regardés comme des éléments à charge : le fait pour la filiale contrôlée à 100 %, qui acquérait le capital de la cible, d’appartenir à un groupe important lui permettant de s’appuyer sur ses services juridiques internes ou d’avoir les moyens pour recourir à un conseil et le fait, de surcroît, que la lettre d’intention (signée par des représentants du groupe) fasse état d’une clause suspensive relative à l’autorisation de l’opération par les autorités de concurrence.

Le montant de l’amende dans cette affaire a été fixé à 392 000 euros. Dans la récente décision Réunica, qui a conduit au prononcé d’une amende de 400 000 euros, l’ADLC a relevé que ce groupe avait déjà notifié d’autres opérations de concentration dont une précédente opération de fusion avec retard. En outre, il lui est reproché de ne pas avoir coopéré au cours de la procédure d’instruction et de notification. A sa décharge, le groupe a informé de sa propre initiative l’ADLC et cette prise de contact est intervenue moins de quatre mois après la date de la réalisation effective de l’opération.

Rappelons que l’article L.430-8-I du code de commerce prévoit que peut être infligée une sanction pécuniaire d’un montant pouvant atteindre 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté le cas échéant du chiffre d’affaires réalisé en France sur la même période par la partie acquise(4). Précisons que l’ADLC considère que le manquement est imputable à la personne qui acquiert de façon ultime le contrôle de la cible, c’est-à-dire pas nécessairement seulement à celle qui conclut l’acte d’acquisition (le véhicule d’acquisition) mais à celle qui, de façon directe ou non, peut exercer une influence déterminante sur l’activité de la cible(5) (le cas échéant la tête de groupe).

Dans son projet de lignes directrices relatives au contrôle des concentrations(6), actuellement soumis à consultation publique, l’ADLC intègre logiquement ces deux décisions pour exposer sa pratique décisionnelle en la matière. En conclusion, ne pas notifier une opération de concentration contrôlable n’est pas un acte anodin et peut entraîner le prononcé d’une lourde sanction. Seules les circonstances de l’espèce et/ou les conditions de rectification du manquement (qui prendra forcément la forme d’une notification de l’opération concernée, l’ADLC pouvant enjoindre la notification sous astreinte) peuvent alors être de nature à modérer le montant de l’amende encourue.

(1) Décision n° 13-D-01 du 31 janvier 2013 relative à la situation des groupes Reunica et Arpège au regard du I de l’article L.430-8 du code de commerce.

(2) Décision n° 12-D-12 du 11 mai 2012 relative à la situation du groupe Colruyt au regard du I de l’article L430-8 du code de commerce.

(3) TUE, 12 décembre 2012, Electrabel c/ Commission européenne, T-332/09.

(4) Ces montants concernent les personnes morales. Pour les personnes physiques, une amende pouvant atteindre 1,5 millions d’euros peut être prononcée.

(5) Voir décision du Conseil d’Etat n° 360949 du 14 décembre 2012 sur un refus de transmission au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité, après avoir estimé que les dispositions du code de commerce sont suffisamment claires quant à la désignation de l’auteur d’un tel manquement.

(6) Points 110 et suivants du projet révisé de lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations soumis à consultation publique du 22 février 2013 au 22 avril 2013.


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