La directive de 2019 et l’ordonnance de 20211 tendent à objectiver le traitement des difficultés des entreprises en faisant de la valeur de l’entreprise l’élément de référence pour apprécier les solutions et le pouvoir des parties prenantes.
Détermination des créanciers susceptibles de se voir imposer une solution de continuation
La notion de valeur d’entreprise est mobilisée lors de l’adoption d’un plan de continuation2 en présence de classes de parties affectées3.
Lorsque des parties affectées minoritaires au sein de leur classe ont voté contre le plan, le test du meilleur intérêt des créanciers doit être passé4. Il convient alors de comparer la situation du dissident par rapport à sa situation dans un cadre liquidatif, ou de plan de cession ou d’une éventuelle situation alternative et de s’assurer que la situation du plan est plus favorable pour lui. La valeur d’entreprise permet de déterminer les remboursements que le créancier pourrait espérer dans ces situations.
Lorsqu’au moins une des classes a rejeté le plan, une application forcée interclasse peut intervenir si le plan a été approuvé :
– par une majorité de classes et qu’au moins une d’elles est une classe de titulaires de sûretés réelles ou d’un rang supérieur à celui des chirographaires ;
– à défaut d’une telle majorité, par au moins une classe « dans la monnaie » (c’est-à-dire qui aurait droit à un paiement en cas de répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l’entreprise et ce en considération de la valeur de l’entreprise projetée) autre que des détenteurs de capital.
De manière plus spécifique, lorsqu’une telle application forcée à l’égard d’une ou plusieurs classes de détenteurs de capital est envisagée, il faut également vérifier que les membres de cette classe sont « en dehors de la monnaie », c’est-à-dire qu’ils n’auraient droit à aucun paiement ou à ne conserver aucun intéressement en cas de répartition des actifs en liquidation judiciaire ou de cession de l’entreprise.
Dans ces deux dernières situations, les textes prévoient que soit prise en compte la valeur de l’entreprise en tant qu’entreprise en activité.
Un idéal à concrétiser
L’introduction de cette nouvelle clef de voute pour les procédures avec classes de parties affectées a vocation à réaligner l’influence des parties avec le risque qu’elles portent. Une partie affectée « en dehors de la monnaie » ne supporte aucun risque de perte, la situation est telle qu’elle ne peut qu’espérer que le retournement produira des effets qui lui seront bénéfiques alors que sa créance est d’ores et déjà quasi « démonétisée », elle ne doit donc avoir qu’une influence limitée sur l’adoption du plan. A contrario, une partie affectée « dans la monnaie », supporte un risque de perdre ce à quoi elle aurait droit dans une situation hypothétique alternative (liquidative, en plan de cession ou autre), elle a donc une influence renforcée.
Cet idéal d’effectivité des restructurations devra toutefois composer avec de grandes difficultés matérielles à appréhender la valeur d’une entreprise en situation de défaillance.
Naturellement, les tribunaux et les organes de procédure collective vont recourir aux experts pour tenter d’objectiver cette valorisation que ce soit en amont de l’adoption du plan ou dans le cadre des recours contre ce dernier5. En effet, le risque de voir cette valorisation calibrée en fonction des intérêts poursuivis par le débiteur parait trop prégnant pour éviter de mettre en œuvre les moyens de cette objectivation.
Les critères pris en compte seront multiples et devraient être utilisés de façon coordonnée au regard des spécificités des entreprises en difficulté.
L’intervention des mandataires judiciaires, hors des textes, pourrait être recherchée.
1. Directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 et Ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce.
2. Plan de sauvegarde ou de redressement.
3. Désignation obligatoire en sauvegarde ou redressement judiciaire si les seuils sont atteints :
– 250 salariés et 20 m d’euros de chiffre d’affaires net ; ou
– 40 M d’euros de chiffre d’affaires net.
4. Art. L. 626-31 du Code de commerce.
5. Art. L. 626-33 du Code de commerce.