Après avoir développé son projet BEPS suivant les axes matérialisés par ses 15 rapports, l’OCDE a plus récemment adopté une approche globalisante – intégrer le maximum d’Etats et d’organisations internationales – avec une vision novatrice reposant sur un traitement des Etats – OCDE ou non – sur un pied d’égalité dans l’implication dans les travaux.
Par Eric Bonneaud, avocat associé, PwC Société d’Avocats
La genèse de cette approche repose sur le fait que l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices touchent tous les Etats, membres de l’OCDE ou non, développés, émergents ou en développement.
L’Organisation de la Muette souligne que l’atteinte aux ressources fiscales des pays en développement est encore plus néfaste car, pour ces derniers, l’impôt sur les sociétés représente une part plus importante de leurs ressources budgétaires. L’OCDE estimait en 2015 globalement que le manque à gagner représente de l’ordre de 4 à 10 % des recettes issues de l’impôt sur les sociétés au niveau mondial.
L’harmonisation des règles fiscales internationales et le développement d’un cadre fiscal international transparent sont donc les clés du succès du projet.
Prenant acte de la mondialisation de l’économie, la diffusion de ces travaux passe par un cadre coopératif élargi.
L’OCDE a adopté une approche collaborative et associative dans le développement du BEPS reprise sous le vocable de l’«inclusive framework» ou cadre inclusif. Cette approche a été confortée par la déclaration faite à l’issue du G20 par les chefs d’Etat et de gouvernement à Antalya en 2015 :
« […] C’est pourquoi nous demandons instamment la mise en œuvre rapide de ce projet et nous encourageons tous les pays et juridictions, en particulier les pays et juridictions en développement, à y participer. Pour assurer le suivi de la mise en œuvre du projet BEPS dans le monde, nous demandons à l’OCDE d’élaborer un cadre inclusif d’ici début 2016 avec la participation des pays et juridictions intéressés non membres du G20 qui s’engagent dans le projet BEPS, et notamment des économies en développement, sur un pied d’égalité.»
Ce cadre a vocation à permettre à tous les Etats et organisations qui le souhaitent de rejoindre l’OCDE dans ses travaux pour la mise en œuvre des mesures issues du projet BEPS. Le succès est indéniable : plus de 80 Etats et organisations internationales régionales telles que les CIAT (Centre inter-américain des administrations fiscales), IOTA (Intra European Organisation of Tax Administrations), CREDAF (Centre de rencontres et d’études des dirigeants des administrations fiscales), SGATAR (Study Group on Asian Tax Administration and Research) ou encore ATAF (African Tax Administration Forum) ont rejoint le mouvement.
Des actions spécifiques sont alors prévues. Peut-on déjà en préfigurer les effets en matière de prix de transfert ?
D’abord, les Etats et organisations qui ont rallié ce cadre inclusif vont participer, au même titre que les autres membres de l’OCDE, à la définition des procédures d’examen du suivi par les membres des standards minimums mis en place (cohérence, substance, transparence), le but final étant d’assurer une égalité de traitement entre les membres. Un exemple concret est celui, au-delà des engagements, du respect par les Etats du dépôt et du partage du CbCr en vue de sa révision éventuelle en 2020. On peut déjà percevoir ici que bien des Etats ont un intérêt, légitime, budgétaire, ou politique à faire en sorte que ce type d’informations soit correctement échangé tant cet instrument revêt un caractère stratégique pour les administrations fiscales pour avoir une vision globale et fiscale du groupe et pour mener leur propre évaluation du risque. L’effet connexe de cette approche peut induire que l’interprétation des données échangées pourrait être faite de manière asymétrique par certains Etats conduisant ainsi à de douloureuses situations de double imposition. Autre élément, plus prospectif, ce cadre inclusif doit conduire ceux qui l’ont rallié à participer à la mise en place de mécanismes de suivi des autres mesures issues du projet BEPS. Sous réserve d’une adaptation à la situation de chaque Etat, cela pourrait se traduire par une identification dans les régimes fiscaux nationaux des mesures porteuses de risques d’érosion de la base fiscale ou de transfert de bénéfices et un appui à leur suppression ou adaptation.
Mais aussi, cette approche inclusive prend acte des différences de capacités et moyens administratifs existant entre les différentes juridictions. Un appui technique est donc mis en place, sous forme de «boîtes à outils», pour ces pays à faibles capacités. Elles doivent être développées par l’OCDE en association avec le FMI, l’ONU et la Banque mondiale. Une double vocation est assignée à ces outils : aider ces Etats à mettre en place des mesures spécifiques pour implémenter certains aspects du BEPS, mais aussi assister ces pays à définir des outils relatifs à d’autres problématiques que ceux-ci auraient identifiées dans le cadre de consultations régionales.
Ainsi, l’OCDE, relayée par les organisations régionales, a mis en place des moyens dédiés, ce qui s’est traduit par des premières actions menées dès 2016. A titre illustratif, des groupes techniques relatifs au BEPS ont été mis en place en associant ces organisations et les Etats en développement ou non membres de l’OCDE. Au sein du CREDAF (15 pays, 2 organisations), un groupe de travail va concentrer ses travaux sur les déductions d’intérêts (Action 4), le contournement du statut d’établissement stable (Action 7), les transactions portant sur les produits de base (Action 10) et la documentation des prix de transfert (Action 13). Par ailleurs, un comité technique de l’ATAF (8 pays) va se consacrer aux travaux sur les déductions d’intérêts (Action 4), l’évitement du statut d’établissement stable (Action 7) et les prix de transfert (Action 8, 9 et 10). Enfin, au sein du SGATAR, un groupe de réflexion sur les aspects touchant aux prix de transfert (comparables, accords préalables sur les prix, procédures amiables) et à l’abus des conventions fiscales se met en place.
Comme on peut le voir, ces réflexions concernent pour une large part les prix de transfert. Cette nouvelle donne devrait plus que jamais inciter les groupes multinationaux, à l’occasion de leur révision post-BEPS de leur politique sur le prix de transfert, à s’assurer que ceux-ci sont en accord avec les nouvelles normes internationales développées, en intégrant dans le champ de leur analyse les transactions opérées avec des filiales ou établissements situés dans des pays non OCDE.