Dans le contexte du projet BEPS, on aurait pu craindre que la double imposition soit désormais considérée comme une double peine légitime pour les groupes qui auraient manqué de «civisme fiscal» et que, de ce fait, le débat autour de l’amélioration des mécanismes de résolution des différends soit occulté. Fort heureusement, l’OCDE, ayant pris acte du fait que l’interprétation et l’application des nouveaux principes résultant de ses travaux sont susceptibles de multiplier les situations de double imposition, a inscrit à son programme l’action 14, qui vise à renforcer l’efficacité des procédures de règlement des différends fiscaux.
Par Marie-Laure Hublot, avocat associée, PwC Société d’Avocats
Selon ce rapport, les Etats se sont engagés à développer un «standard minimum» constitué d’actions précises visant à assurer une résolution efficace et rapide des différends fiscaux et à s’assurer de sa mise en œuvre au travers d’un processus de contrôle par les pairs («peer review»). En outre, vingt Etats1, dont la France, se sont également engagés à adopter une procédure d’arbitrage obligatoire en cas d’échec de la procédure amiable.
Mise en œuvre d’un standard minimum
Les 17 éléments constitutifs du standard minimum sont accompagnés d’explications et, le cas échéant, de propositions de modifications de l’article 25 de la convention modèle ou des commentaires associés. Complétés par 11 cas de bonnes pratiques, ils visent à répondre aux objectifs suivants :
– s’assurer que les obligations conventionnelles relatives à la procédure amiable sont mises en œuvre de bonne foi et dans des délais raisonnables ;
– s’assurer de l’existence de procédures administratives visant à prévenir et à résoudre les différends fiscaux ;
– s’assurer que le contribuable a accès à la procédure amiable quand il remplit les conditions pour cela.
Pour atteindre le premier objectif, les Etats devraient inclure dans leurs conventions fiscales les paragraphes 1 à 3 de l’article 25 de la convention modèle afin que les autorités compétentes soient en mesure de résoudre tous types de différends fiscaux. Le rapport précise que les différends liés à l’interprétation des clauses anti-abus devraient entrer dans le champ d’application de la procédure amiable. Il est également indiqué que les Etats devraient s’engager à résoudre leurs différends dans un délai moyen de 24 mois. Les progrès en ce sens feront l’objet d’une revue dans le cadre de la peer review.
Pour le deuxième objectif, les autorités compétentes des Etats devraient disposer de ressources adéquates, en nombre et en expérience, et leur rémunération ne devrait pas être calculée en fonction d’indicateurs liés notamment aux montants des ajustements finalement agréés. Le rapport détaille également un certain nombre d’actions visant à garantir une meilleure transparence au profit des contribuables, telles que la publication des règles internes relatives au fonctionnement de la procédure amiable. Ces règles devraient prévoir que l’obtention d’un règlement d’ensemble avec les services de vérification n’empêche pas le contribuable de demander l’ouverture d’une procédure amiable. Il est enfin recommandé aux Etats disposant d’une procédure d’accord préalable en matière de prix de transfert de permettre la rétroactivité de cet accord afin de prévenir ou de résoudre les litiges fiscaux sur les exercices antérieurs.
Enfin, troisième objectif, l’accès à la procédure amiable devrait être accordé dès lors que les conditions de l’article 25 (1) sont réunies. Il est notamment proposé d’amender les dispositions de ce paragraphe afin de permettre aux contribuables de demander l’ouverture de la procédure amiable à l’une ou l’autre des autorités compétentes ou alors d’instaurer un processus de consultation bilatérale, lorsque l’autorité compétente saisie du cas considère que la demande d’ouverture ne se justifie pas.
Apports de l’action 14 sur la pratique française
La France respecte déjà la grande majorité des éléments constitutifs du standard minimum et les bonnes pratiques identifiées sont, pour la plupart, déjà des pratiques françaises. Néanmoins, une marge d’amélioration existe. Ainsi, les services de vérification demandent quasi systématiquement au contribuable de renoncer à la procédure amiable en cas de conclusion d’un règlement d’ensemble ; les délais de résolution des procédures amiables sont actuellement de 43 mois environ, loin des 24 mois cibles ; l’accès à la procédure amiable des conventions bilatérales est refusé en cas d’application de pénalités pour manquement délibéré notamment, alors que cette restriction d’accès n’est pas prévue conventionnellement.
Si les engagements pris sont respectés, les travaux de l’action 14 auront un impact positif sur la pratique française. L’engagement officiel de la France en faveur d’une procédure d’arbitrage obligatoire constitue déjà un apport clé puisque seules quatre de ses conventions fiscales contiennent une telle clause en vigueur.
1- Allemagne, Autriche, Australie, Belgique, Canada, Espagne, France, Irlande, Italie, Japon, Luxembourg, Nouvelle-Zélande, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Slovénie, Suède, Suisse, Royaume-Uni, Etats-Unis.
2 - Il s’agit des conventions conclues avec l’Allemagne, la Suisse, le Royaume-Uni, les Etats-Unis.