L’«exception française» ne devrait pas être l’apanage du seul ministère de la Culture d’André Malraux car la France a su également se distinguer par certains aspects de sa fiscalité, notamment ceux relatifs aux ajustements secondaires.
Par Eric Bonneaud, avocat associé et Yasmina Fahim, collaboratrice, PwC Société d’Avocats
Si un des volets du programme BEPS est de mieux œuvrer à la résolution effective des différends et des doubles impositions (action 14), un dommage collatéral générant des doubles ou triples impositions à ne pas sous-estimer est celui des ajustements secondaires quand ils sont pratiqués.Selon les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert, un ajustement secondaire se définit comme «un ajustement qui résulte de l’application d’un impôt à une transaction secondaire».
Selon les mêmes principes, une transaction secondaire est la «reconstitution d’une transaction à laquelle certains pays procèdent en vertu de leur législation interne après avoir proposé un ajustement primaire».
En résumé, l’ajustement secondaire serait le dommage dérivé du redressement en matière d’impôt sur les sociétés, lequel dommage peut aboutir à des situations de double imposition. L’exemple typique d’ajustement secondaire est celui de la qualification du rehaussement effectué par les services vérificateurs en revenu réputé distribué en vertu des articles 109-1 et 111 c du CGI, et, sous réserve des dispositions de la convention bilatérale applicable, le prélèvement d’une retenue à la source sur ces rehaussements.
Dans le cadre de travaux menés entre 2012 et 2014, le Forum conjoint de l’Union européenne s’est également penché sur la question des ajustements secondaires et a émis un rapport (1) dans lequel il est préconisé de s’abstenir de procéder à ceux-ci afin d’éviter la double imposition. Seuls neuf Etats membres de l’UE (Autriche, Bulgarie, Danemark, Allemagne, France, Luxembourg, Pays-Bas, Slovénie et Espagne) appliquent actuellement ces ajustements.Comment gérer les risques de double imposition dans pareil contexte ?
Une première solution serait le recours aux procédures amiables dont les conditions de mise en œuvre, en règle générale, permettent de rapatrier les revenus réputés distribués tout en évitant l’imposition de cette opération dans l’Etat de destination du rapatriement et la retenue à la source dans l’Etat d’origine du rapatriement. Toutefois, les procédures amiables ne sont pas aisées à mettre en œuvre avec tous les Etats.Une seconde solution serait le recours à la procédure de régularisation en cas de rectification portant sur les transferts de bénéfices à l’étranger, introduite par la loi de finances rectificatives pour 2014 et codifiée à l’article L. 62 A du LPF.
La mise en œuvre de cette procédure emporte, de la part du contribuable, l’acceptation totale ou partielle des ajustements primaires à l’origine de la retenue à la source en cours de contrôle, ainsi que le rapatriement des revenus réputés distribués dans un délai de 60 jours après l’introduction de la demande de régularisation. Cette procédure ne règle toutefois pas le problème de la double imposition et, étant unilatérale, elle ne peut prévoir le traitement des bénéfices rapatriés depuis le pays d’origine du rapatriement. Dans la mise à jour de sa doctrine au BOFIP en date du 2 septembre 2015, l’administration française a adopté une position plus souple en ouvrant la possibilité d’opérer le rapatriement sous forme d’une extinction de dette envers la société ayant bénéficié de la distribution. Cette option n’est toutefois pertinente que lorsqu’il existe une dette envers l’entité liée en question et lorsque le montant de celle-ci est supérieur au montant des revenus réputés distribués. Dans tous les autres cas, le rapatriement devra se faire par un versement effectif total ou partiel.
Comme on peut le constater, la procédure de régularisation de l’article L. 62 A du LPF n’est pas révolutionnaire en ce sens qu’elle n’écarte pas le risque de double imposition. Il s’agit d’une mesure alternative au recours aux procédures amiables, ne semblant toutefois pas exclure le recours à ces dernières afin d’éliminer la double imposition liée à l’ajustement primaire.
1) Rapport sur les ajustements secondaires, Annexe I à la Communication de la Commission au Parlement Européen, au Conseil et au Comité Economique et Social Européen concernant les travaux menés par le forum conjoint de l’UE sur les prix de transfert entre juillet 2012 et janvier 2014, Commission Européenne, 4 juin 2014.