Dans le cadre des contrôles fiscaux, il est fréquent pour ne pas dire systématique que l’administration utilise d’office des études de comparables réalisées à partir de bases de données externes dans le cadre de la méthode transactionnelle de la marge nette avant toute analyse poussée sur la pertinence de la méthode de prix de transfert appropriée. Toutefois, ne donne-t-on pas trop de crédit aux résultats de ces études ? Se faisant, l’administration respecte-t-elle totalement l’esprit des recommandations de l’OCDE en la matière ?
Par Thierry Louzier, directeur, spécialisé en prix de transfert, PwC Société d’Avocats
La finalité des diverses réglementations en matière de prix de transfert est double : assurer une juste rémunération des parties à une transaction intragroupe et lutter contre des planifications fiscales agressives aboutissant à une forte réduction globale de l’impôt payé au détriment d’une juridiction. Dans ce cadre, l’OCDE présente l’utilisation des études de comparables comme un outil permettant d’approcher les conditions de pleine concurrence en donnant une application pratique aux méthodes de prix de transfert qu’elle recommande. Mais l’Organisation indique que ces études doivent «être utilisées de manière rationnelle1» du fait notamment de leurs faiblesses intrinsèques.
Or, en se fondant sur ces études de comparables, l’administration fiscale justifie souvent des redressements importants, partant du principe que le résultat de ces études doit être strictement respecté par principe.
Quelques éléments sont donc à prendre en compte afin d’apprécier pleinement la portée effective des études de comparables, qui constituent des outils nécessaires mais dont l’usage doit donner lieu à discernement.
Il est souvent difficile, voire impossible, de trouver des sociétés au profil fonctionnel identique et donc parfaitement comparable à celui des entreprises dont on souhaite tester le niveau de profitabilité. Les analyses approfondies des sociétés des panels révèlent souvent des écarts de profil fonctionnel très significatifs, rarement compensés par des ajustements pertinents de comparabilité pourtant recommandés par l’OCDE. Ainsi, un ajustement lié au coût du travail pourrait se révéler très utile pour améliorer la comparabilité des marges entre des sociétés présentes dans différents pays aux niveaux de vie très différents. A contrario, les ajustements de comparabilité que le contribuable peut proposer sont parfois rejetés car considérés comme rendant plus complexes les études. Or, assurer une comparabilité maximale est clairement un des objectifs des principes OCDE2 qu’il convient de suivre.
Malgré ces limites, si le panel de comparables est suffisamment fiable, il reste encore d’autres paramètres à évaluer.
A titre illustratif, la période à retenir pour les comparables est un élément saillant. Cette question n’est pas aussi simple comme en témoigne le fait que la pratique de l’administration peut être variable et non homogène allant de la sélection d’une période de trois ans, antérieure à l’exercice contrôlé, à une comparaison année par année. En tout état de cause, le BOFIP et l’OCDE insistent sur le fait que ces études doivent couvrir des périodes identiques3.
Il y a également et souvent une large application de l’intervalle interquartile par l’administration, voire même de son point le plus haut, comme étant une pratique peu sujette à discussion. Pourtant, au sein de cet intervalle, tout point est réputé avoir la même validité, selon l’OCDE et comme l’a rappelé notamment la CAA de Versailles dans un arrêt récent4.
Mais l’intervalle interquartile ne permet pas toujours mécaniquement d’accroître la fiabilité d’une étude de comparables. A titre d’illustration, l’application d’outils statistiques, tels que cet intervalle sur des échantillons très réduits de sociétés (10 sociétés ou moins dans un panel), devrait être réalisée avec plus de prudence. D’une part, le BOFIP indique clairement que «le recours à l’intervalle interquartile ne doit pas être systématique5». D’autre part, si les sociétés du panel sont réputées avoir été sélectionnées avec rigueur, tous les points de l’intervalle de pleine concurrence devraient être considérés comme acceptables puisque reflétant une réalité de rémunération de marché6.
Ces exemples ciblés illustrent le fait que l’utilisation d’études de comparables ne doit pas faire oublier sa véritable finalité. Cela doit rester un outil d’analyse pour essayer d’apprécier au mieux si une société a respecté le principe de pleine concurrence sans imaginer que cet outil puisse révéler une vérité intangible. Au contraire, en fonction de ses limites, il doit être croisé avec d’autres facteurs pour pouvoir réellement apprécier la rémunération d’une société.
Les discussions avec l’administration ne doivent ainsi pas se cantonner à une «bataille» sur le seul résultat du benchmark. Mais une analyse fine de celui-ci restera toujours nécessaire pour évaluer sa pertinence, et un recul devrait toujours être conservé avec l’appréciation d’autres facteurs pour rester dans l’esprit de BEPS.
1. § 2.80 des principes OCDE, édition 2017.
2. § 3.47 des principes OCDE, édition 2017.
3. § 3.68 des principes OCDE, édition 2017 et § 260 du BOFIP.
4. TCL Belgium, CAA de Versailles, 3e chambre, 29/12/2016, 14VE02126.
5. BOI-BIC-BASE-80-10-10-20140218, § 280.
6. § 3.62 principes OCDE, édition juillet 2017.