La lettre gestion des groupes internationaux

Septembre 2017

Etablissements stables : la fin des artifices

Publié le 22 septembre 2017 à 16h03

Cathaline Batier

Partant du constat que la qualification d’établissement stable parvenait à être évitée par la mise en place de certains accords, notamment les contrats de commissionnaires ou de prestataires de services, ou par le biais d’une fragmentation des activités permettant de n’avoir que des activités de nature préparatoire ou auxiliaire, l’OCDE a souhaité redéfinir la notion d’établissement stable à travers le prisme de la substance, qui est l’un des trois piliers structurants du plan BEPS.

Par Cathaline Batier, avocat directeur, spécialisée en prix de transfert, PwC Société d’Avocats

L’article 5 du modèle de convention fiscale de l’OCDE, dans sa version actuelle, prévoit qu’un établissement stable est constitué par une installation fixe d’affaires par laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité, tout en excluant les activités qui ont une nature préparatoire ou auxiliaire. A défaut d’installation fixe d’affaires, une entreprise peut constituer un établissement stable lorsqu’elle agit en qualité d’agent dépendant, au sens où elle opère pour le compte d’une autre entreprise et dispose de pouvoirs lui permettant de conclure des contrats au nom de cette dernière.

Dans la nouvelle définition proposée par l’OCDE dans son Action 7, ces critères ont été revus afin de mieux appréhender la réalité des activités effectuées et d’avoir une grille d’analyse plus factuelle.

Ainsi, pour contrer la fragmentation des activités, l’OCDE propose d’appréhender l’ensemble des activités exercées par la même entreprise, en particulier lorsque celles-ci sont réalisées en différents endroits, ou bien de considérer les différentes activités effectuées par des entreprises liées afin de déterminer si celles-ci forment un ensemble cohérent qui exclurait leur caractère préparatoire ou auxiliaire. De même, l’existence d’un agent dépendant ne se limite plus au seul fait qu’une entreprise ait les pouvoirs de conclure des contrats au nom de son commettant mais s’attache aussi à déterminer si cette même entreprise a joué un rôle principal menant à la conclusion de ces contrats.

Cette recherche de substance dans l’appréhension d’un établissement stable est aussi devenue le maître mot dans l’approche de l’administration fiscale. Si dans l’arrêt Zimmer du 31 mars 20101, la position du Conseil d’Etat était fondée uniquement sur une analyse juridique des termes du contrat de commissionnaire, l’heure est désormais à la prévalence du fond sur la forme. L’existence d’un établissement stable ne se limite plus à l’analyse des seuls termes contractuels mais résulte d’un faisceau d’indices.

Pour ce faire, l’administration n’hésite plus à recourir aux perquisitions fiscales (article L. 16 B du Livre des procédures fiscales), que ce soit dans les locaux de l’entreprise ou au domicile de ses dirigeants, ou à des demandes d’assistance administrative internationale pour vérifier la domiciliation des organes de direction et des actes de gestion courante de l’entreprise.

De même, la nouvelle procédure d’audition de tiers, introduite début 2017, permet à l’administration d’entendre toute personne – autre que le contribuable – qui serait susceptible de fournir des informations utiles à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, et notamment pour rechercher des manquements aux règles de territorialité en matière d’impôt sur les sociétés. La liste des personnes concernées par cette procédure, prévue à l’article L. 10-AB du LPF, est large car elle inclut les clients, fournisseurs, salariés et prestataires externes.

Une autre source d’information de plus en plus prisée est la consultation des réseaux sociaux professionnels en ligne, qui permet d’avoir un éclairage factuel sur les activités exercées par les salariés de l’entreprise contrôlée.

La récente décision Google, rendue par le tribunal administratif de Paris le 12 juillet dernier2, est un parfait exemple des questions qui se posent. Si les juges ont examiné le rôle effectif des salariés français de Google dans l’activité commerciale de la société, ils ont néanmoins mis en œuvre une application littérale de la définition de l’établissement stable sans prendre en considération les récents travaux BEPS qui ne sont pas encore dans le droit positif.

Cependant, cette décision ne présage pas des évolutions à venir, d’autant plus que la nouvelle définition de l’établissement stable fait partie des mesures contenues dans l’instrument multilatéral devant conduire à modifier les conventions fiscales bilatérales pour inclure le résultat des travaux issus du BEPS. La mise en place d’un tel instrument devrait aboutir à une conception harmonisée de ce mécanisme fiscal par les différents pays signataires, avec pour corollaire une réallocation des profits réellement générés dans chaque pays concerné. La prochaine étape sera de relever les défis posés par l’économie numérique pour une meilleure cohérence des règles fiscales, avec davantage de substance et de transparence qui sont les trois piliers du plan BEPS.

1. CE, 31 mars 2010, n° 304715 et 308525, 10e et 9e s.-s., société Zimmer Ltd.

2. TA Paris, 12 juillet 2017, n° 1505178, société Google Ireland Limited.


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