La lettre gestion des groupes internationaux

Septembre 2017

Les garanties intragroupes : le(s) juste(s) prix

Publié le 22 septembre 2017 à 16h03

Fabien Fontaine

Venant formaliser le soutien en cas de défaillance financière ou de contre-performance opérationnelle, les garanties sont un rouage essentiel de la vie des entreprises, y compris au sein de groupes. Des travaux récents de l’OCDE prennent ainsi acte des bénéfices découlant des garanties intragroupes par la diminution des frais financiers pour l’emprunteur pouvant s’en prévaloir1.

Par Fabien Fontaine, avocat directeur spécialisé en prix de transfert financiers, PwC Société d’Avocats et Christophe Bonneville, avocat directeur, PwC Société d’Avocats

Ces développements bienveillants semblent toutefois en décalage avec les enjeux fiscaux parfois considérables soulevés par ces flux et leur contestation régulière par les administrations fiscales. Il est vrai que les garanties intragroupes sont triplement suspectes à leurs yeux. D’une part, il est courant pour l’administration de formuler des doutes entourant l’utilité des garanties dès lors qu’elles n’auraient pas été actionnées. D’autre part, les garanties doublonneraient avec le soutien implicite du groupe dont relève le bénéficiaire. Enfin et surtout, les garanties intragroupes sont des incorporels réduisant la base d’imposition, et à cet égard sont les victimes collatérales d’une actualité tournée contre l’évasion fiscale, dans un contexte de taux d’intérêt historiquement bas devenus sans rapport avec des conditions de garanties souvent déterminées à une époque de taux bien plus élevés.

A lire ce dernier facteur de risque, on voit clairement que les garanties soulèvent des enjeux de prix de transfert qu’il appartient aux entreprises de justifier2, même si en la matière l’administration a en principe la charge de la preuve3. En d’autres termes, il est important pour les entreprises de s’assurer que les tarifs de leurs garanties intragroupes sont justes, c’est-à-dire cohérents avec des taux de marché en vertu du principe de pleine concurrence. Toute la difficulté de cette démonstration est qu’elle peut se faire selon plusieurs approches très différentes pouvant parfois aboutir à des résultats assez divergents.

Les contribuables souhaitant se prévaloir de comparables de pleine concurrence s’appuient en général sur des conditions de garanties accordées par leur groupe à des tiers, cas de figure a priori assez peu fréquent hors du secteur financier, plus sûrement par des tiers au groupe en question, par exemple par des lettres de crédit et autres engagements de paiement.

Faute de tels éléments de comparaison directs, il est possible d’identifier sur les marchés financiers des taux d’instruments proches, tels que les credit default swaps (CDS), encore qu’à la différence des garanties, ces derniers transfèrent le risque de défaut. L’inconvénient pratique de cette approche est que depuis 2008, les CDS n’ont pas toujours la faveur des investisseurs par effet de leur manque de liquidité, ce qui peut conduire à des niveaux de commissions relativement élevés.

En tout état de cause, cette approche de justification par transaction comparable est séduisante par sa simplicité, mais présente en pratique le risque de rejet pour défaut de comparabilité. Ce risque est loin d’être théorique, dans la mesure où les différences potentielles entre transactions internes et ces éléments de justification peuvent être multiples, et où la pratique de certains vérificateurs est de s’appuyer sur des écarts même véniels pour rejeter ces derniers.

On peut donc souhaiter se tourner à des fins corroboratives vers des approches plus économiques dont la plus connue est le «benefit approach» (ou «yield approach»), la plus répandue auprès des administrations fiscales en l’absence de comparable, et visée ici encore par l’OCDE4. Cette méthode lie le tarif de la garantie à la réduction de taux d’intérêt en résultant du fait du différentiel de solvabilité (note de crédit) du garant d’une part et du bénéficiaire ou de l’instrument (prêt, obligation, etc.) garanti d’autre part, le cas échéant en tenant compte d’un éventuel soutien implicite, par effet de la célèbre jurisprudence nord-américaine GE Capital5 ou encore des préconisations susmentionnées de l’OCDE.

Une autre méthode corroborative serait de se placer non pas du côté du bénéficiaire de la garantie mais du côté du garant, en suivant une approche fondée sur ses coûts et son profit.

Au fond, cette approche assimile la garantie à une assurance, dont elle applique les techniques tarifaires. Dans un tel cas de figure, le montant de la garantie résulte de la somme de deux composantes. D’une part, le montant annuel amortira les indemnités à verser au titre de la garantie, c’est-à-dire l’indemnité à verser en cas de défaut (nette des montants recouvrés), pondérée par la probabilité d’un tel défaut, et divisée par la durée de la garantie. Cette première composante ne fait que couvrir l’espérance de perte du garant, sans lui offrir d’espace économique. Ce dernier découlera d’une seconde composante, consistant en un retour sur le capital immobilisé aux fins d’indemnisation, c’est-à-dire le montant garanti (brut des montants recouvrés) pondéré par le risque de défaut, auquel on appliquera un rendement de routine, couramment le ROCE du garant. Cette approche est d’autant plus attractive que les données financières de probabilité de défaut et de perte en cas de défaut nécessaires à sa mise en œuvre sont largement disponibles auprès des agences de notation.

A lire ces développements, on conçoit qu’au-delà de sa simplicité de façade, la tarification d’une garantie intragroupe n’est pas une science exacte et qu’il est non seulement possible mais souhaitable de croiser plusieurs méthodes à des fins corroboratives… de préférence en amont de toute vérification fiscale.

1. Par exemple, Aligning Transfer Pricing Outcomes with Value Creation, Actions 8-10 – 2015 Final Reports, p. 49.

2. «Transfer Pricing Still at Issue in Guarantee Fees Dispute, Court Says», Tax Notes International 14 août 2017 : toute récente mise en demeure d’une filiale de ConocoPhillips de répondre à des questions portant sur la tarification de ses garanties intragroupes.

3. CE du 17 février 1992 n° 81-690 et 82-782 disposant qu’un risque faible justifierait une rémunération de caution à hauteur de 0,25 % du montant garanti, l’administration ne prouvant pas le risque fort lui permettant de redresser à hauteur de 1 %.

4. Op. cit.

5. General Electric Capital Canada Inc. v. The Queen 2009 TCC 563, aff’d 2010 FCA 344.


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