Au cours des trois dernières années, le Conseil d’Etat a sanctionné plusieurs dispositions fiscales considérées comme discriminatoires sur le fondement de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales («CESDH») donnant ainsi un regain d’intérêt à l’invocation de telles dispositions devant le juge administratif.
Par Catherine Cassan, avocat associée, PwC Société d’Avocats et Mathilde Blandino, PwC Société d’Avocats
En 2017, dans sa décision Layher (CE, 29 mars 2017, n° 399506), le Conseil d’Etat a sanctionné dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir (REP) les commentaires administratifs publiés sur la base BOFiP réitérant les dispositions de l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts («CGI») instaurant une contribution additionnelle de 3 % au titre des revenus distribués. Cette contribution avait été mise en place dans un objectif affiché de rendement. Le dispositif en cause excluait de la contribution les distributions réalisées entre sociétés membres d’une intégration fiscale mais incluait celles réalisées entre sociétés qui, bien que répondant à la condition de détention de 95 %, n’avaient pas opté pour le régime de l’intégration fiscale.
Selon le Conseil d’Etat, cette différence de traitement, selon que les sociétés ont opté ou non pour le régime de l’intégration fiscale, ne repose pas sur des justifications objectives et raisonnables. En effet, un objectif de rendement ne constitue pas, en lui-même, un objectif d’utilité publique de nature à justifier, lorsque la condition de détention est satisfaite, la différence de traitement. La haute cour a relevé que cette différence de traitement est incompatible avec les stipulations de l’article 14 de la CESDH (i.e. interdiction des discriminations) combinées avec l’article 1er de son premier protocole additionnel (i.e. protection de la propriété).
Plus récemment, le Conseil d’Etat (CE, 22 novembre 2019, n° 431867) a sanctionné dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir la doctrine administrative (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40 n° 170) commentant les dispositions du 12 de l’article 150-0 D du CGI interdisant la déduction des pertes pour le calcul de la plus-value en cas d’annulation de titres volontaire.
Par principe, les pertes constatées du fait de l’annulation de titres dans le cadre d’une procédure collective sont déductibles. Néanmoins, les pertes réalisées au cours d’une annulation de titres en application de l’article 225-248 du Code de commerce ne sont pas, selon l’administration fiscale, admises en déduction car elles résultent d’une annulation volontaire.
Pour rappel, en application de l’article 225-248 du Code de commerce, dans l’hypothèse où les pertes d’une société sont au moins égales ou supérieures à ses capitaux propres et si l’assemblée générale extraordinaire n’a pas décidé sa dissolution anticipée, les associés, pour réduire le capital de la société d’un montant au moins égal à celui des pertes qui n’ont pas pu être imputées sur ses réserves et son report à nouveau, sont tenus de procéder à l’annulation des titres de cette société.
Le Conseil d’Etat a jugé que les contribuables soumis à l’obligation de l’article 225-248 du Code de commerce ne se trouvaient pas, au regard de la loi fiscale, dans une situation suffisamment différente de celle des contribuables dont les titres sont annulés dans le cadre d’une procédure collective pour justifier, sans méconnaître les stipulations combinées de l’article 14 de la CESDH et de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, une différence de traitement telle que celle qu’instaure l’article en cause dans le traitement fiscal des annulations de titres.
De manière assez classique, dans ces deux premières affaires, les contribuables ont invoqué l’article 14 de la CESDH, prohibant les discriminations, combiné à l’article 1er du premier protocole additionnel protégeant le droit de propriété. Le Conseil d’Etat a ainsi appliqué une méthodologie traditionnelle visant à constater l’existence d’une différence de traitement et à étudier si cette différence de traitement était justifiée par les objectifs du législateur.
De manière inédite, le Conseil d’Etat, dans sa décision Primopierre (CE, 10 mars 2020, n° 437122), statuant dans le cadre d’un REP, a sanctionné une amende fiscale considérée comme disproportionnée sur le seul fondement de l’article 1er du premier protocole additionnel à la CESDH.
L’article 210 E du CGI, dans sa rédaction alors applicable, prévoyait un taux réduit d’imposition de la plus-value résultant de la cession d’un immeuble à une SCPI. En contrepartie, la SCPI devait prendre l’engagement de conserver l’immeuble pour une durée minimale de cinq ans. En cas de non-respect de cette condition, une amende de 25 % sur la valeur de la cession est appliquée.
Le Conseil d’Etat a retenu qu’en déterminant le montant de cette amende en fonction de la valeur à laquelle l’immeuble a été acquis par la société auteur du manquement, l’article 1764 du CGI a retenu une assiette en rapport avec l’infraction commise, tenant à la rupture de l’engagement de conservation de l’immeuble.
Toutefois, en appliquant à cette valeur un taux de 25 %, alors que l’avantage fiscal dont bénéficie le cédant et le cas échéant, indirectement, le cessionnaire, s’élève seulement à la différence entre le taux réduit de 19 % et le taux normal de l’impôt sur les sociétés, appliquée à la plus-value imposable, les dispositions contestées ont retenu un montant d’amende disproportionné par rapport à la gravité du manquement qu’elles répriment. Elles portent ainsi une atteinte disproportionnée, au regard de l’objectif poursuivi, au droit au respect des biens garanti par les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la CESDH.
Par le passé, la voie de la contestation sur le fondement de la CESDH n’a pas donné lieu à une jurisprudence abondante en faveur des contribuables. Néanmoins, ces récentes décisions illustrent les nouvelles opportunités de contestation des dispositions fiscales discriminatoires et a fortiori des pénalités fiscales sur le fondement de la CESDH.
La voie du plein contentieux présente néanmoins l’inconvénient d’être longue. L’introduction d’un REP contre des instructions administratives réitérant ou commentant des dispositions législatives, à l’instar des trois décisions étudiées, permettrait de réduire drastiquement les délais contentieux et d’obtenir, le cas échéant, gain de cause plus rapidement.
Un moyen d’action supplémentaire semble ainsi s’offrir aux contribuables désireux de contester la conventionnalité de certaines dispositions qu’ils jugent discriminatoires