En mars dernier, à l’occasion du dernier Forum des administrations fiscales qui s’est tenu au Chili, a été lancée à l’initiative de l’OCDE la seconde phase du programme ICAP (International Compliance Assurance Programme) qui regroupe désormais 17 pays1, la France n’en faisant pas partie.
Par Philippe Durand, avocat associé, PwC Société d’Avocats
On sait que le BEPS s’est traduit par la remise en cause d’un nombre de règles en matière de fiscalité internationale et par l’introduction de nombreuses obligations déclaratives pour les entreprises transnationales, processus qui est loin d’être achevé si l’on en juge par les récentes propositions de l’OCDE sur une refonte des principes de la fiscalité internationale dans le contexte de la digitalisation de l’économie, propositions qui dépassent largement la question des activités numériques pour englober la répartition du droit d’imposer les revenus d’actifs incorporels, en ce inclus les «market intangibles», autrement dit par une possible remise en cause de la substance comme critère principal de répartition du droit d’imposer entre Etats.
Ces évolutions et ces projets ont, pour des entreprises qui ne savent plus quelles règles appliquer, un effet anxiogène, et ce d’autant plus que les administrations fiscales nationales elles-mêmes perdent également leurs repères, ce qui accroît les risques de double imposition. Pour remédier à cette situation, l’OCDE tente, en s’appuyant sur le Forum des administrations fiscales, d’apporter sa pierre au rétablissement de la sécurité juridique.
Ainsi, indépendamment des efforts faits pour parvenir à une résolution des cas de double imposition, l’OCDE tente actuellement de promouvoir une expérimentation, ICAP, sorte de partenariat entre des entreprises transnationales volontaires et les administrations fiscales. ICAP est d’ailleurs présenté non seulement comme une voie pour donner de la sécurité juridique aux entreprises mais aussi comme un moyen pour économiser des ressources et améliorer les résultats de l’exploitation des informations recueillies, notamment dans les CBCR. L’OCDE cherche ainsi à faire de cette initiative un exercice «gagnant-gagnant» pour les entreprises comme pour les administrations.
Sous réserve de la dimension internationale de ICAP, l’exercice rappelle un peu la démarche de partenariat initiée par l’administration fiscale française dans le cadre de la nouvelle relation de confiance. Le fait est néanmoins que la France n’a pas voulu s’associer à cette démarche bien que tous les pays membres de l’Union européenne qui nous entourent aient décidé de s’y associer.
La version 2 du manuel d’utilisation («pilot Handbook») éclaire le fonctionnement du dispositif. Après avoir rappelé les bénéfices attendus de la démarche, notamment en matière de prévention des cas de double imposition, d’harmonisation des approches en matière de prix de transfert et de meilleure utilisation des informations, le document envisage le processus de partenariat avec les entreprises volontaires.
Il consiste pour l’entreprise mère d’un groupe transnational à approcher l’administration de son siège, étant précisé qu’une autre administration que celle du siège peut éventuellement être désignée pour exercer le rôle de coordinateur. Sur la base des premières expériences, les premiers cas ont impliqué entre quatre et huit pays différents. Il est nécessaire que ces pays puissent échanger entre eux les informations nécessaires, que ce soit par le biais de l’assistance administrative des conventions fiscales bilatérales ou d’accords multilatéraux.
Après avoir présenté sa situation et précisé les motifs qui la conduisent à participer à ce partenariat, l’entreprise doit fournir un certain nombre d’informations nécessaires pour approfondir le champ des investigations attendues («scoping documentation package»), cette seconde phase débouchant sur un accord des administrations concernées quant au champ des questions qui seront couvertes par le partenariat. Les risques concernés sont prioritairement ceux en matière de prix de transfert. Mais il peut aussi s’agir de problèmes d’établissement stable ou de tout autre risque transfrontalier (hybrides, etc.) La période couverte (postérieure à 2015) doit également être définie, l’analyse devant en principe pouvoir s’appliquer aux deux exercices suivant ceux concernés par l’analyse.
La phase III est celle de l’évaluation des risques, autrement dit de l’examen par les administrations fiscales. A l’issue de celui-ci, l’entreprise reçoit une lettre de chacune des administrations dans lesquelles celles-ci prennent position sur les questions couvertes, ces différentes réponses devant bien sûr faire l’objet d’une coordination entre les administrations. Néanmoins le fait que soient envisagées différentes modalités pour opérer cette coordination laisse à penser qu’il existe encore des tiraillements entre des administrations fiscales qui ne souhaitent pas se trouver dans l’obligation de devoir avaliser la position qui aura été retenue par l’une d’entre elles, le plus fréquemment celle qui jouera le rôle de pilote. L’expérience permettra d’apprécier si cette crainte peut être surmontée. A défaut, l’expérimentation serait vouée à l’échec, l’exercice perdant alors tout intérêt pour les entreprises intéressées si le résultat de la démarche n’aboutit qu’à transformer en certitude un risque fiscal qui n’était auparavant qu’éventuel, sans autre perspective que des redressements fiscaux.
L’ensemble du processus est censé durer entre 28 et 36 semaines. Ce délai est relativement court. Même si le sujet de contrôles fiscaux coordonnés est évoqué, on imagine mal qu’il puisse s’intégrer dans ce partenariat car de telles vérifications nécessiteraient beaucoup plus de temps. Tout repose donc sur les informations fournies par les entreprises, spontanément ou sur demande, dans le cadre du programme ou sur les obligations déclaratives récurrentes, toutes ces données pouvant être échangées entre les administrations.
On le voit, ICAP en est encore au stade d’une jeune expérimentation. C’est un préalable sans doute nécessaire mais le compte n’y est pas encore pour rassurer les entreprises confrontées à un bouleversement des règles et à une explosion des obligations déclaratives mises à leur charge. Les administrations fiscales, quant à elles, veulent certes éviter d’apparaître comme refusant de participer à cette expérience, la France semblant aujourd’hui isolée dans son attitude ; mais elles semblent avancer avec appréhension. Il demeure donc beaucoup de chemin à parcourir pour convaincre les entreprises comme les administrations fiscales que l’évolution des règles, tant celles déjà adoptées que celles qui ne sont encore que des projets, ne se traduiront pas par une phase de désordre fiscal international.
1. Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, Irlande, Italie, Japon, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Royaume-Uni.