L’élection surprise de Donald Trump, sans le soutien d’une large majorité de son propre parti, a paradoxalement permis de remettre sur le devant de la scène un vaste projet de réforme fiscale, connu sous le nom de projet «Blueprint» – initialement passé inaperçu – présenté par les Républicains de la Chambre des représentants le 24 juin 2016.
Par Guillaume Barbier, avocat directeur, PwC Société d’Avocats et Laurent Samson, avocat directeur, PwC Société d’Avocats
Présenté comme une refonte complète et ambitieuse du système fiscal américain, notamment en raison du basculement d’un régime mondial vers un régime territorial couplé à une baisse significative du taux de l’impôt sur les sociétés, ce projet comprenait notamment une mesure qui a suscité de nombreuses inquiétudes de l’ensemble des acteurs économiques : l’ajustement fiscal à la frontière ou «border adjustment tax».
Cette mesure repose sur une idée assez simple : retenir le lieu de consommation indépendamment du lieu de production comme critère d’imposition.
En pratique, cette disposition consiste à taxer les flux plutôt que les profits et ainsi à modifier l’assiette du résultat imposable des sociétés américaines en exonérant le produit des exportations de biens et services tout en interdisant la déduction des coûts des importations de biens ou services en provenance de l’étranger.
Ce mécanisme reviendrait indirectement à imposer la part des salaires incluse dans le coût des biens et services importés tout en exonérant la part des salaires américains contenus dans le prix de revient des biens ou services exportés.
Même si les auteurs de ce projet ont contesté le fait que cette disposition puisse être assimilée à une quelconque taxe indirecte, prêtant ainsi le flanc à une incompatibilité avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce, il n’en demeure pas moins que cette dernière a suscité de nombreuses inquiétudes tant chez certains acteurs américains dont l’activité repose principalement sur les importations que chez les sociétés étrangères.
De surcroît, cette idée se heurte également à la réalité économique américaine où force est de constater qu’une large gamme de produits vendus par les groupes américains n’est plus fabriquée aux Etats-Unis, et il semble illusoire d’envisager une refonte totale des chaînes de valeurs et de production existantes au sein de ces mêmes groupes compte tenu des faibles coûts de production dont ils bénéficient dans certains pays.
L’impact sur les finances publiques américaines de cette disposition est également un sujet de vif débat interne au sein des Républicains, même s’il ne peut se mesurer qu’en prenant en compte l’ensemble des mesures fiscales contenues dans le Blueprint, baisse drastique du taux de l’impôt sur les sociétés, etc. L’effet monétaire attendu et indispensable à la viabilité budgétaire de la mesure (appréciation du dollar) ne fait d’ailleurs pas l’unanimité parmi les économistes.
Dans le cadre de l’annonce faite le 26 avril dernier par le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin visant à présenter la «Réforme fiscale 2017 pour la croissance économique et l’emploi américain», les commentateurs ont bien évidemment relevé que ce projet de border adjustment tax ne figure pas parmi les mesures annoncées.
Présenté à l’origine comme une des pierres angulaires du projet le plus ambitieux de réforme fiscale américaine depuis 1986, destiné à financer une partie de la baisse de l’impôt sur les sociétés, il convient de s’interroger sur l’impact de la disparition – définitive ? – de cette mesure sur l’ensemble du projet de réforme dont l’unanimité requise pour qu’elle soit votée semble faire défaut au Président aujourd’hui en raison des nombreux doutes pesant sur l’équilibre budgétaire dont résulterait sa mise en œuvre.
L’incertitude qui plane sur l’avenir de la border adjustment tax pose question quant aux futures règles de déductibilité des charges financières et aux financements aux Etats-Unis. La mise en place de la border adjustment tax, telle qu’envisagée, aurait ainsi pour conséquences la simplification du cadre fiscal fédéral en la matière en supprimant la déduction des charges financières nettes. Dans ce cadre, les récentes «Regulations» de l’IRS et du Trésor américain concernant la section 385 et les qualifications et obligations de documentation liées aux dettes des entreprises pourraient de ce fait être privées de portée.
Certains experts entrevoient aussi la possibilité d’une réforme atténuée qui maintiendrait la border adjustment tax tout en limitant son champ d’application (par exemple, déduction fiscale immédiate des investissements à 50 % seulement, déduction des charges financières nettes à 50 %, etc.).
Enfin, si la border adjustment tax venait à être définitivement abandonnée, la future réforme des charges financières pourrait ainsi notamment prévoir une simple transposition dans le droit fédéral américain de l’action 4 BEPS, autrement dit une limitation générale déterminée à partir de l’Ebitda des entreprises.
Le succès obtenu par le Président Trump il y a quelques jours devant la Chambre des représentants concernant la réforme possible de l’Obamacare pourrait redonner une nouvelle vigueur à la réforme fiscale américaine et la border adjustment tax voulues par le Parti républicain, sous réserve de la validation par le Sénat américain.