La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2021

DAC 6 – Retour d’expérience – Transparence ou dissuasion ?

Publié le 1 octobre 2021 à 10h58

PwC Société d’Avocats

Il y a maintenant plus de six mois, entrait en vigueur en France la transposition de la directive DAC6. Cette directive visait notamment à ce que les « États membres obtiennent des informations complètes et pertinentes sur les dispositifs fiscaux à caractère potentiellement agressif » et permettre ainsi d’augmenter la transparence sur certains dispositifs mis en place par les contribuables.

Par Renaud Jouffroy, avocat, Of Counsel PwC Société d’Avocats et Paul Mispelon, avocat PwC société d’Avocats

Si, à la lecture des textes, il était difficile de déterminer l’ampleur qu’aurait le dispositif, il ressort, après un peu plus de 6 mois de pratique, que celui-ci conduit notamment à la déclaration d’opérations dont il est difficile de saisir l’intérêt pour l’administration.

La directive DAC6 a ainsi conduit à l’adoption en droit français d’une législation obligeant les intermédiaires ayant participé à la mise en place de dispositifs répondant à certains critères, ou le contribuable en l’absence d’intermédiaires, à procéder à la déclaration de ceux-ci.

Dans une certaine mesure, la directive, tout comme la transposition de celle-ci, invite à retenir une interprétation large de la notion de dispositif. D’ailleurs, l’Administration fiscale précise ainsi que ce terme « s’entend au sens large : il recouvre notamment tout accord, entente, mécanisme, transaction ou série de transactions, qu’ils aient ou non force exécutoire. Il s’applique en particulier à la création, à l’attribution, à l’acquisition ou au transfert du revenu lui-même, ou de la propriété, ou du droit au titre duquel le revenu est dû » (BOI-CF-CPF-30-40-10-10, n° 10).

Si l’acception du terme dispositif doit ainsi être entendu largement, cela ne signifie pas pour autant que chaque dispositif doit être déclaré. Il est en effet nécessaire d’une part, que le dispositif soit transfrontière (i.e. il doit concerner plusieurs Etats membres ou un Etat membre et un pays tiers) et d’autre part, qu’il entre dans le champ d’un des 15 marqueurs définis par la directive et repris à l’article 1649 AH du code général des impôts. Certains marqueurs sont néanmoins des marqueurs « doubles » en ce qu’ils exigent en plus de répondre au critère de l’avantage principal (ci-après « MBT » pour Main Benefit Test), c’est-à-dire, selon le texte « s’il est établi que l’avantage principal ou l’un des avantages principaux qu’une personne peut raisonnablement s’attendre à retirer d’un dispositif, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, est l’obtention d’un avantage fiscal ».

Une des difficultés rencontrées est que les définitions de ces marqueurs peuvent laisser place à une large interprétation, de telle sorte que les contribuables ont dû attendre les commentaires administratifs pour avoir une idée plus claire des situations à déclarer. Néanmoins, tout n’a pas été clarifié et les zones d’ombres sont nombreuses.

La pratique a également révélé les nombreuses difficultés pouvant surgir quant aux interprétations divergentes retenues par les Etats membres des marqueurs. Le marqueur C.1.b.i est à ce titre une parfaite illustration. Un dispositif est considéré comme entrant dans le champ de ce marqueur (qui est par ailleurs un marqueur double) lorsque « un dispositif qui prévoit la déduction des paiements transfrontières effectués entre deux ou plusieurs entreprises associées lorsque […] le bénéficiaire [du paiement] réside à des fins fiscales dans une juridiction [qui] ne lève pas d’impôt sur les sociétés ou lève un impôt sur les sociétés à taux zéro ou presque nul ». Or les Etats membres ont une approche différente de ce que recouvre un « impôt sur les sociétés à taux zéro ou presque nul ». Ainsi, la France considère que cela recouvre « un impôt sur les sociétés dont le taux effectif d’imposition est inférieur à 2 % », l’Allemagne vise quant à elle un taux nominal inférieur à 4 %, la Pologne un taux inférieur à 5 % et le Portugal un taux inférieur à 1 %.

Ainsi, si un dispositif n’est pas déclarable au sens des commentaires administratifs français, cela ne signifie pas pour autant qu’il ne devrait pas être déclaré à l’étranger, ce qui rompt l’intégrité de la structure de la directive qui entendait instituer une obligation déclarative commune et unique au sein du marché intérieur. 

La pratique a en tout état de cause révélé que les déclarations les plus nombreuses, à notre connaissance, à l’heure actuelle, concernent des situations susceptibles d’entrer dans le champ de marqueurs simples.

Les deux marqueurs donnant lieu à le plus de déclarations sont probablement les marqueurs C.1.b.ii qui visent les situations de déduction de paiements transfrontières entre entreprises associées à un résident d’une juridiction qui figure sur une liste d’Etats non coopératifs et le marqueur E.3. Celui-ci vise les transferts de fonctions, risques ou actifs au sein d’un groupe emportant une baisse d’au moins 50 % du bénéfice avant intérêts et impôts chez la cédante.

La cessation d’une activité ou le transfert d’actifs emportant une baisse du chiffre d’affaires d’une société doit ainsi être déclaré même si cela n’emporte aucune conséquence défavorable tant pour le contribuable que pour le fisc français ou européen, tel que le transfert d’une activité d’un pays tiers vers la France ou un autre Etat membre de l’Union européenne.

En ce qui concerne le marqueur C.1.b.ii, la situation peut être plus délicate. Les commentaires français ont adopté une interprétation large de la notion de « liste d’Etats non coopératifs » par rapport à d’autres Etats membres. En effet, ils visent la liste noire de l’Union européenne, mais également les « juridictions [évaluées] “non conformes” ou “partiellement conformes” par l’OCDE dans le cadre du Forum mondial sur la transparence fiscale » (BOI-CF-CPF-30-40-30-20, n° 20). Parmi les Etats figurant sur cette seconde liste, il est possible de mentionner par exemple la Turquie ou le Ghana. Tout paiement intra-groupe (déductible) vers ces pays devrait, selon l’administration, donner lieu à des déclarations bien qu’il n’implique en réalité aucun avantage fiscal.

Par contraste, à notre connaissance, peu de dispositifs ont été déclarés en France sous l’égide des marqueurs doubles. Cette situation ne saurait surprendre dès lors que, sur la base du BOFiP, les dispositifs transfrontières dont l’avantage fiscal « résulte de l’utilisation d’une mesure d’incitation fiscale prévue par le législateur français » et « sous réserve du respect de l’intention du législateur » ne sont pas déclarables (BOI-CF-CPF-30-40-10-10, n° 160). Même si la DGFiP prend le soin de préciser que « la souscription de la déclaration ne vaut pas reconnaissance par le déclarant d’une pratique illégale, délictueuse ou criminelle » (BOI-CF-CPF-30-40-20, n° 150), dès lors qu’elle exclut du périmètre du « MBT » les avantages fiscaux incitatifs français utilisés conformément à l’intention du législateur, seuls demeurent pertinents les avantages fiscaux étrangers (dont on peut penser qu’ils impliquent la participation d’un intermédiaire local qui serait le mieux placé pour déclarer, dans son Etat de résidence, le dispositif), les avantages français ne ressortant pas de textes d’incitation fiscale et les avantages fiscaux français issus de textes d’incitation fiscale et non conformes à l’intention du législateur. Or pour ces derniers, la frontière avec l’abus de droit réprimé par l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales est fine et rarissimes sont les contribuables s’engageant sciemment dans une structure abusive.

La finesse de la frontière identifiée précédemment permet aussi de s’interroger, dans certaines situations, sur la conformité du droit français avec le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination1. Dans son rapport sur l’action 12 du projet BEPS, dont DAC 6 est inspiré, l’OCDE relevait à cet égard que « si dans un pays un contribuable est passible de poursuites pénales au motif qu’il a effectué certaines opérations soumises à l’obligation déclarative, ce pays peut choisir de préciser que le droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination constitue un motif raisonnable pour ne pas déclarer une opération de cette nature. Par exemple, les pays estimeront qu’un contribuable a un motif raisonnable de ne pas déclarer un montage qui peut être assimilé à une fraude fiscale passible de poursuites pénales » (2).

Ce débat met en exergue la sempiternelle recherche, dans tout Etat de droit, du parfait équilibre entre d’une part, la légitime attente de transparence fiscale à laquelle aspirent les autorités fiscales et la société civile, et d’autre part, l’impérieuse nécessité de garantir les droits fondamentaux des parties prenantes. Ainsi, l’Union européenne, pour respecter le secret professionnel auquel certains intermédiaires sont assujettis (par exemple les avocats), avait autorisé les Etats membres à les dispenser de déclaration auprès de leurs autorités fiscales respectives, sous réserve néanmoins qu’ils soient tenus de notifier à tout autre intermédiaire (et, à défaut, au contribuable concerné) leur propre obligation déclarative (article 8 bis ter, §5). Cependant, l’équilibre auquel elle pensait être parvenue, entre l’objectif de lutte contre les pratiques fiscales (potentiellement) agressives poursuivi par la directive et les garanties attachées au droit au procès équitable (droits de la défense), est aujourd’hui contesté devant la Cour de justice de l’Union européenne à la suite de deux renvois en appréciation de validité provenant, respectivement, de la Cour constitutionnelle belge (3) et du Conseil d’Etat français (4).

Outre ces débats de fond, les écueils pratiques rencontrés par les entreprises dans la déclinaison opérationnelle de cette nouvelle obligation déclarative sont légions. Il leur a ainsi fallu déployer de nouvelles règles de gouvernance, former des opérationnels de tout corps de métiers (e.g. commerciaux, trésoriers, juristes…) non rompus à la matière fiscale, concevoir des systèmes célères de flux d’informations (puisque la déclaration doit se faire dans un délai de 30 jours) … pour un coût qui, dans la généralité des cas, excédait largement le montant maximum des pénalités encourues. 

Si la directive DAC (6) a voulu accroitre la transparence autour des dispositifs potentiellement agressifs mis en place par les contribuables, la définition des marqueurs peu limpide et les divergences de transposition et d’interprétation entre Etats membres rend difficile l’application (uniforme) de cette directive mettant probablement en partie à mal cet objectif. Son application concrète pourrait encore être davantage fragilisée par une remise en cause juridictionnelle de sa légalité (ou de celle des mesures nationales de transposition) avec les normes de droit supérieur, sachant que tous les moyens d’incompatibilité n’ont pas encore été explorés et testés. En définitive c’est davantage l’objectif de dissuasion poursuivi par cette réglementation plus que celui de transparence qui pourrait avoir été atteint.

1. Ce droit est garanti par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

2. OCDE (2016), Règles de communication obligatoire d’informations, Action 12 - Rapport final 2015, Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Éditions OCDE, Paris, p. 94.

3. Cour constitutionnelle belge, 17 déc. 2020, n° 167/2020 (renvoi enregistré par le greffe de la Cour de justice sous n° C-694/20).

4. CE, 25 juin 2021, n° 448486, Conseil national des barreaux.


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