Dès lors qu’un impôt complémentaire sera dû au titre d’un bénéfice faiblement imposé généré dans une juridiction, se posera la question de la détermination de l’entité redevable au sein du groupe multinational et des modalités de prélèvement dudit impôt.
Il est ainsi prévu que l’impôt complémentaire soit attribué et prélevé en application de deux règles distinctes mais interdépendantes, conformément à une hiérarchie convenue. Il sera prioritairement acquitté en vertu de la règle d’inclusion des revenus (RDIR), qui consiste à assujettir une entité mère à l’impôt complémentaire portant sur le revenu faiblement imposé d’une entité constitutive ; et ce n’est qu’en présence d’un impôt complémentaire (résiduel) qui resterait non acquitté après application de la RDIR que la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII), qui refuse la déductibilité ou requiert un ajustement équivalent, sera susceptible de s’appliquer.
En pratique, pour les groupes dont l’entité mère ultime se situera dans une juridiction appliquant la RDIR, seule cette règle s’appliquera à condition qu’elle soit conforme à celle prévue par le Modèle de règles. Dans le cas contraire, une complexité accrue résultera de l’articulation entre les règles RDIR et RPII dont certains aspects restent encore à clarifier.
Règle d’inclusion des revenus (RDIR) : l’entité mère du groupe seule redevable de l’impôt complémentaire
Il s’agit là de la règle principale, dite primaire, en vertu de laquelle l’impôt complémentaire sera acquitté au niveau de l’entité mère du groupe multinational, proportionnellement à sa participation dans l’entité réalisant un bénéfice faiblement imposé. Cette règle suppose donc d’abord d’identifier l’entité mère du groupe qui sera redevable de l’impôt complémentaire puis de déterminer la part d’impôt complémentaire qui lui est attribuable.
L’entité mère du groupe, redevable de l’impôt complémentaire
En principe, et afin d’éviter une imposition en chaîne, la RDIR s’appliquera au sommet de la structure, à savoir au niveau de l’entité mère ultime1 du groupe qui détient, directement ou indirectement, et à tout moment au cours de l’exercice, une participation dans une entité constitutive faiblement imposée.
A titre subsidiaire, et seulement dans les cas où l’entité mère ultime du groupe ne serait pas localisée dans une juridiction appliquant la RDIR, l’OCDE retient une approche descendante en application de laquelle la RDIR s’appliquera aux « maillons inférieurs de la chaîne de détention » c’est à dire au niveau de l’entité constitutive la plus proche de l’entité mère ultime dans l’ordre de la chaîne de propriété (hors établissement stable et société d’investissement). Dans cette hypothèse, c’est cette entité mère intermédiaire qui sera redevable de l’impôt complémentaire.
Toutefois, afin de minimiser les pertes éventuelles de bénéfices faiblement imposés, il est prévu une règle spécifique dérogeant à l’approche descendante retenue par l’OCDE en cas de contrôle partagé. Ainsi en principe, la RDIR s’appliquera également et de manière systématique au niveau de toute entité mère intermédiaire qualifiable d’entité mère intermédiaire en propriété non exclusive (2) (à savoir toute entité constitutive, hors établissement et société d’investissement, qui serait détenue à plus de 20 % par un ou plusieurs tiers non-membres du groupe multinational).
Un mécanisme d’imputation en cas de double imposition
Par principe, l’impôt complémentaire attribuable à l’entité mère ainsi identifiée sera proportionnel à sa participation dans l’entité constitutive faiblement imposée, en application de la règle dite du ratio d’inclusion. Toutefois, afin d’éviter que plusieurs entités mères soient redevables d’un impôt complémentaire à raison d’une même entité faiblement imposée (3), il est prévu un mécanisme d’imputation qui permettra à l’entité mère ultime (ou l’entité mère intermédiaire) de réduire son impôt complémentaire du montant de l’impôt dû par l’entité mère intermédiaire (y compris par l’entité mère intermédiaire en propriété non exclusive) de niveau inférieur.
En pratique, et bien que simple dans son principe, la RDIR sera susceptible de se heurter à la souveraineté des Etats qui décideraient de ne pas l’appliquer (son application aux établissements stables nécessitera parfois, en outre, l’insertion d’une règle de substitution dans les conventions fiscales bilatérales). C’est afin de pallier ces situations qu’a été instituée la RPII, règle subsidiaire ayant pour objectif de jouer un rôle de « filet de sécurité ».
Règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII) : un dispositif de sauvegarde
La RPII est une règle secondaire destinée à permettre l’application des règles GloBE dans les groupes multinationaux dans l’hypothèse où l’impôt complémentaire des entités constitutives faiblement imposées resterait non acquitté après application de la RDIR. En pratique, la RPII trouvera donc à s’appliquer lorsque les bénéfices insuffisamment imposés échapperont à la RDIR en raison soit de la faible imposition de l’entité mère (et de ses filiales localisées dans la même juridiction) soit d’une chaîne de détention de l’entité faiblement imposée ayant pour effet de permettre d’échapper en partie à cette règle (4).
Détermination de l’impôt complémentaire dû au titre de la RPII
En principe, l’impôt complémentaire est égal à la somme des impôts complémentaires de chaque entité faiblement imposée du groupe tels qu’ils auront été calculés pour les besoins de la RDIR.
Cependant, l’impôt complémentaire sera réduit à zéro au titre de la RPII lorsque la totalité de la participation détenue directement ou indirectement par l’entité mère ultime dans l’entité faiblement imposée est détenue par des entités mères assujetties à la RDIR (5). Dans le cas contraire, l’impôt complémentaire dû au titre de la RPII sera dû mais sera diminué de l’impôt complémentaire acquitté au titre de la RDIR.
Dans les cas les plus simples, les entités constitutives faiblement imposées seront entièrement détenues par une autre entité appliquant la RDIR (échappant ainsi à la RPII) ou entièrement détenues par d’autres entités constitutives n’appliquant pas la RDIR (application de la RPII). De même, dans le cadre du Modèle de règles, lorsque la juridiction de l’entité mère est une juridiction faiblement imposée, la RPII trouverait à s’appliquer (sauf à ce que cette juridiction ait adopté un régime d’imposition complémentaire nationale). Relevons néanmoins que la proposition de directive de l’UE prévoit l’application de la RDIR dans une situation purement interne, excluant ainsi cette hypothèse à l’intérieur de l’UE.
Des situations plus complexes pourront toutefois survenir, par exemple dans le cas où une entité mère intermédiaire détiendrait une participation dans une entité faiblement imposée et appliquerait la RDIR proportionnellement à sa participation mais où l’application de cette RDIR ne suffirait pas à prélever l’impôt complémentaire à raison de la participation directe et indirecte détenue in fine par l’entité mère ultime dans l’entité faiblement imposée (6). Dans ce cas, il conviendra alors d’articuler les mécanismes de la RDIR et de la RPII afin de déterminer le montant de l’impôt complémentaire restant dû au titre de la RPII.
Mécanisme de la RPII
En présence d’un impôt complémentaire non acquitté, la RPII consistera à attribuer cet impôt par juridiction selon une formule spécifique puis dans cette juridiction à limiter la déduction de paiements ou à procéder à un ajustement d’un montant équivalent à l’impôt complémentaire dû par l’entité faiblement imposée.
Dans un premier temps, l’impôt complémentaire non acquitté sera réparti entre les juridictions d’implantation du groupe appliquant la RPII (i.e. juridictions RPII) en fonction de la part des employés et des actifs des juridictions concernées, cette clé de répartition ayant pour objectif de faire porter l’impôt complémentaire « sur les entités qui sont le plus susceptibles d’avoir la capacité de payer le montant requis (à ce titre, 7) ».
Cette portion d’impôt complémentaire sera ensuite prélevée dans la juridiction RPII via un refus de déductibilité ou un ajustement équivalent ayant pour effet d’augmenter l’impôt de l’entité concernée. En pratique, les entités constitutives du groupe en question pourront ainsi se voir refuser la déduction de charges à hauteur d’un montant suffisant pour permettre de dégager une charge d’impôt additionnelle égale au montant de l’impôt complémentaire restant dû après application de la RDIR.
Il est prévu à cet effet que cet impôt complémentaire soit effectivement payé (« cash tax expense »). Ainsi, une réduction du montant des pertes fiscales reportables ne libérera pas l’entité redevable de son obligation au paiement de la RPII et cette dernière sera reportée sur les exercices suivants, sans limitation de temps, jusqu’au paiement effectif de son impôt complémentaire. Dans cette hypothèse, et tant que l’impôt complémentaire dû au titre d’un exercice précédent pour une juridiction n’aura pas été effectivement payé par cette juridiction, l’impôt complémentaire d’un exercice ultérieur au titre de la juridiction en question sera nul (8).
Il est indéniable que le mécanisme de la RPII, qui par sa complexité se distingue de la RDIR qui constitue une méthode de recouvrement plus simple dans son principe, devra encore faire l’objet de précisions afin de pouvoir être appliqué sans heurt d’ici sa mise en œuvre.
En tout état de cause, l’articulation de la RPII avec la RDIR exige une coordination entre juridictions qui pourra s’avérer parfois difficile et justifie la mise en place d’obligations déclaratives « standardisées ».
Il est ainsi prévu, hors cas où l’entité mère ultime (ou entité désignée) serait établie dans un pays ayant conclu une convention d’autorité compétente qualifiée et déposerait elle-même une déclaration dite Globe, que chaque entité constituante souscrive une déclaration auprès de son administration fiscale locale (déclaration à déposer par l’entité elle-même ou par une entité locale désignée).
Cette déclaration, qui devra être souscrite au plus tard 15 mois après le dernier jour de l’exercice fiscal concerné (9), devra suivre un modèle standardisé et contenir, à minima, 1° les informations relatives aux entités constituantes (identification de ces dernières) et à la structure juridique du groupe, 2° les informations nécessaires au calcul du taux effectif d’imposition et de l’impôt complémentaire par juridiction ainsi qu’à l’allocation de l’impôt complémentaire par juridiction en application de la RDIR ou de la RPII, 3° le détail de toutes les options formulées en application des règles GloBE, et enfin, 4° toute autre information qui serait à soumettre dans le cadre de la mise en œuvre des règles GloBE.
Il est à noter que le défaut de déclaration fera en principe l’objet de sanctions qui restent encore à définir, mais pourraient s’avérer plus punitives que préventives si l’on en croit le dispositif proposé par la directive du 22 décembre dernier (10).
Cette déclaration devra ainsi faire l’objet d’une attention particulière et d’un suivi coordonné au sein des groupes au même titre que l’ensemble des règles GloBE.
1. Les entités « exclues » au sens des règles OCDE (entités gouvernementales, organisations internationales, etc.) ne pourront être qualifiées d’entités mères ultimes.
2. S’agissant des entités mères intermédiaires (qu’elles soient ou non en propriété non exclusive), il est entendu que la RDIR ne s’appliquera que sous réserve qu’elles soient localisées dans des juridictions appliquant la RDIR mais également qu’elles détiennent directement ou indirectement et à tout moment au cours de l’exercice une participation dans une entité constitutive faiblement imposée et qu’elles ne soient pas elles-mêmes détenues par une autre entité constitutive remplissant ces critères.
3. Hypothèse d’une entité mère ultime et d’une entité mère intermédiaire en propriété non exclusive toutes deux soumises à la RDIR.
4. Il résulte des règles OCDE que la RPII ne devrait pas être applicable aux groupes en phase de démarrage de leurs activités internationales, et ce pour une durée de cinq ans, sous réserve toutefois de respecter certaines conditions.
5. Il semble que la disposition correspondante de la proposition de directive ne revête pas la même portée.
6. Tel peut être le cas si l’entité mère ultime détient une participation dans l’entité constitutive faiblement imposée qui est supérieure à celle de l’entité mère intermédiaire au travers d’une participation complémentaire directe.
7. OCDE, Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie – Règles globales anti-érosion de la base d’imposition (Pilier 2).
8. Cette exclusion ne s’appliquera pas au titre de l’exercice en question dans le cas où le montant RPII par juridiction serait nul pour toutes les juridictions appliquant la RPII, aboutissant en pratique à ne régler aucun impôt complémentaire à ce titre.
9. A l’exception de l’exercice transitoire : 18 mois
10. Proposal for a COUNCIL DIRECTIVE on ensuring a global minimum level of taxation for multinational groups in the Union {SWD(2021) 580 final}. Directive qui prévoit une amende de 5% du chiffre d’affaires en cas de non-dépôt dans les délais de la déclaration GloBE ou de fausse déclaration, dans les 6 mois d’une relance versus des sanctions laissées à la liberté de chaque Etats dans les Modèle de règles OCDE.