La lettre gestion des groupes internationaux

Le marché carbone réglementé, comment ça marche ?

Publié le 24 avril 2024 à 16h20

 Temps de lecture 9 minutes

Par Antoine Coursaut-Durand, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Frédéric Danos, Of Counsel, PwC Société d’Avocats

Le système d’échange de quotas de gaz à effet de serre européen (SEQE-UE) a été renforcé récemment par deux directives :

– la directive (UE) 2023/959 du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union et la décision (UE) 2015/1814 concernant la création et le fonctionnement d’une réserve de stabilité du marché pour le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union. La directive (UE) 2023/959 poursuit la réduction du nombre de quotas de 90 millions en 2024 et de 27 millions en 2026. – La directive soumet le transport maritime international au SEQE ; et

– la directive (UE) 2023/958 du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE en ce qui concerne la contribution de l’aviation à l’objectif de réduction des émissions dans tous les secteurs de l’économie de l’Union et la mise en œuvre appropriée d’un mécanisme de marché mondial. Le recours à la mise aux enchères sera généralisé pour l’aviation, avec une suppression des quotas gratuits entre 2024 et 2025 et une mise aux enchères intégrale en 2026.

La directive qui réforme le SEQE fait partie du « Paquet Ajustement à l’objectif 55 » qui a pour objet de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050.

D’abord applicable aux Etats dans le cadre du protocole de Kyoto, le système s’est élargi aux entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre. Ce marché fonctionne principalement par un système de plafonnement des émissions et de quotas d’émission, les entreprises doivent arbitrer entre acheter les quotas dont le prix va augmentant avec la rareté ou investir dans des projets de décarbonation.

1. Le mécanisme de Kyoto

Le Protocole de Kyoto signé en décembre 1997 et entré en vigueur en 2005 comporte des objectifs contraignants et quantifiés de limitation et de réduction des gaz à effet de serre. Il crée le marché carbone entre Etats. Les droits ou crédits du marché carbone réglementé sont établis par des organismes de réglementation, qui peuvent être internationaux ou nationaux, comme les États membres de l’Union européenne dans le cadre du SEQE. Ces régulateurs opèrent tous en conformité avec les dispositions du Protocole de Kyoto. Les droits d’émission sont initialement déterminés par les niveaux globaux d’émissions de gaz à effet de serre alloués aux États.

Les « unités » ainsi créés font l’objet d’une grande diversité de nomenclature. Par exemple, les directives européennes utilisent le terme « quota ». Toutefois, toutes les unités ont la même valeur, à savoir une « tonne métrique d’équivalent-dioxyde de carbone » en application des accords de Marrakech.

Sur le marché réglementé, la création de ces unités-valeurs est soumise à trois mécanismes distincts de crédits carbone :

• Mécanisme des permis négociables (les quotas d’émission) ;

• Mécanisme des crédits carbone issus d’une Mise en œuvre conjointe (« MOC ») : Il s’agit de financer des projets de réduction des émissions dans d’autres pays industrialisés et d’obtenir en retour des crédits d’émission dénommés Unités de Réduction des Émissions (URE) ; et

• Mécanisme de développement propre (« MDP »). Le MDP permet aux pays industrialisés d’investir dans des projets de réduction ou de séquestration de ces gaz dans des pays en développement. Ils obtiennent également en retour des URE.

Les deux derniers (MOC et MDP) représentent des dispositifs de compensation (des crédits carbone). Le MDP doit être substitué par un mécanisme nouveau, le Mécanisme de développement durable (« MDD »), instauré par l’article 6 de l’Accord de Paris, à partir duquel seront générés les nouveaux crédits carbone de compensation régulés.

Le droit d’émettre des quotas sur le marché règlementé découle directement du Protocole de Kyoto. En fonction de ses engagements, chaque pays se voit attribuer des « unités de quantité attribué ». L’Union européenne est partie à cet engagement international, qu’elle met en œuvre avec la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 et la création du SEQE dont le volume de quotas autorisés correspond au total cumulé des unités de quantité attribuées des États membres de l’Union européenne définis dans le Protocole de Kyoto.

2. Le système communautaire d’échange de quotas d’émissions (SEQE)

Fonctionnement du SEQE. Le SEQE reposant sur un principe de plafonnement et d’échange « cap-and-trade ». Ce mécanisme se décompose en plusieurs étapes clés :

• Plafonnement : Un plafond (ou cap) est fixé sur la quantité totale de certains gaz à effet de serre que les installations participant au système peuvent émettre. Le SEQE-UE couvre un peu plus de mille installations en France. La valeur du plafond en 2030 est égale à une réduction d’émissions de – 62 % en 2030 par rapport au niveau de 2005 pour les installations fixes, l’aviation et le maritime. Ce plafond est réduit au fil du temps, afin de garantir une diminution des émissions avec un facteur linéaire de réduction de 4,3 % de 2024 à 2027 et 4,4 % de 2028 à 2030. Chaque quota d’émission donne le droit à son détenteur d’émettre une tonne de CO2 ou la quantité équivalente d’autres gaz à effets de serre (N2O, PFC).

• Attribution de quotas : Des quotas d’émissions, également appelés « droits à émettre » ou « permis » peuvent être selon les cas attribués ou vendus aux entreprises. Ces quotas correspondent à la quantité de gaz à effet de serre qu’elles peuvent émettre. Si une entreprise émet moins que son quota, elle peut conserver l’excédent pour l’année suivante ou le vendre.

• Enchères : la mise aux enchères est la méthode par défaut du SEQE-UE. Un peu plus de la moitié des quotas du SEQE-UE sont mis aux enchères. Tous les Etats participants au SEQE-UE à l’exception de la Pologne et de l’Allemagne mettent aux enchères leurs allocations sur la plateforme d’enchères commune European Energy Exchange (EEX). Les enchères se déroulent toute l’année au rythme d’environ trois par semaine (d’un volume d’environ 2 millions de quotas).

Les participants font des offres pour une quantité de quotas à un certain prix. Les offres sont ensuite classées par ordre décroissant du prix offert, et les volumes des offres sont additionnées en commençant par l’offre la plus élevée.

• Échange : Les entreprises peuvent acheter ou vendre des quotas sur le marché, ce qui crée le prix du carbone. Ces quotas d’émission de gaz à effet de serre constituent des biens meubles incorporels, objets de propriété, et sont cessibles par virement de compte à compte sur un registre tenu à cet effet (Code de l’environnement, article L. 229-11 et L. 229-12). Les quotas d’émission de gaz à effet de serre constituent des titres négociables. Cette capacité d’échange sur un marché incite les entreprises à réduire leurs émissions car elles peuvent éviter d’acheter des quotas ou générer des revenus en vendant leurs quotas excédentaires.

3. Mise en œuvre en France

Transposé en droit français aux articles L. 229-5 à L. 229-19 et R. 229-5 à R. 229-37-11 du Code de l’environnement, les principales caractéristiques du cadre juridique peuvent être résumées ainsi :

• Les installations concernées sont celles soumises à ICPE et exerçant l’une des activités mentionnées dans le tableau en annexe de l’article R. 229-5 du code de l’environnement.   L’autorisation environnementale ou l’enregistrement délivré au titre de la législation relative aux ICPE inclut une autorisation pour les émissions de GES ;

• L’opérateur doit disposer d’un compte à la Caisse des dépôts et consignations qui assume le rôle d’administrateur national du registre européen (article L. 229 -12 du Code de l’environnement). Ces registres ont une double fonction : assurer la création des unités-valeurs et matérialiser de façon sécurisée leurs mouvements à la suite des achats et ventes qui interviennent entre les acteurs du marché carbone.

• L’exploitant surveille ses émissions de gaz à effet de serre sur la base d’un plan de surveillance, approuvé par l’autorité compétente, conformément au règlement surveillance, déclaration et vérification des émissions (Règlement d’exécution (UE) 2018/2066 modifié, dit règlement « MRR »).

• II doit déclarer annuellement ses émissions de GES de l’année civile précédente conformément au règlement MRR. Les déclarations sont validées par l’autorité compétente sur le site de télédéclaration et transmises à l’administrateur national du registre.

• L’opérateur doit faire vérifier annuellement la conformité de la déclaration des émissions par un vérificateur indépendant accrédité.

Lorsqu’il est éligible et demande des allocations de quotas gratuits, un opérateur doit en outre se soumettre à des obligations particulières de surveillance, de déclaration et de contrôle des émissions et des niveaux d’activité.

A l’issue de chaque année civile, chaque entreprise doit restituer aux autorités publiques le même nombre de quotas d’émissions que le nombre de tonnes de CO2, telles qu’elles ont été déclarées, vérifiées et validées (Article L. 229-7 du Code de l’environnement).

4. Les risques et enjeux pour les entreprises

Le marché carbone réglementé pose de nombreux enjeux opérationnels aux entreprises mais dans cet article on a envie d’en souligner quatre :

Adaptation : les entreprises doivent évaluer leur exposition aux conséquences du réchauffement climatique sur toute leur chaîne de valeur, en passant en revue leurs opérations pays par pays, site par site. Si ce travail n’est pas fait, impossible de mesurer les vulnérabilités et de prendre des mesures adéquates.

Atténuation : elles doivent élaborer des plans de réduction de leurs émissions de GES, puis les mettre en œuvre avec un programme de transformation (organisation, éco-conception, achats, équipements…).

Relocalisation : il ne sera bien plutôt plus possible d’esquiver ces obligations. Les fuites de carbone, compris comme une délocalisation des moyens de production vers des pays avec des réglementations mois strictes mais qui auraient pour effet de produire une augmentation des émissions de gaz à effet de serre ne seront bientôt plus possible. Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) permettra bientôt de lutter contre les fuites de carbone en soumettant les produits importés dans le territoire douanier de l’Union Européenne à une tarification du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens fabriquant ces produits.

Notons d’ailleurs qu’il existe des mesures destinées à soutenir certaines industries à forte intensité d’énergie en cas de fuite de carbone.

Transparence et confiance : l’entreprise doit rendre compte de ces projets de décarbonation dans le cadre du reporting de durabilité. Il n’y plus de doute qu’une politique de décarbonation est désormais au premier plan des préoccupations de toutes les parties prenantes. L’un des enjeux sera de s’assurer de la qualité de ces projets, notamment pas la fiabilité et la transparence de leurs résultats. 


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