Les pays de l’UE sont engagés à atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, respectant ainsi les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris. Le pacte vert pour l’Europe (Green Deal) est la stratégie mise en œuvre par l’UE pour réaliser cet objectif à l’horizon 2050.
Le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE) constitue la pierre angulaire du Green Deal européen et de la transition écologique du continent. Il s’agit du principal instrument dont l’UE dispose pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Pourquoi ce marché a-t-il été créé ? En quoi consiste-t-il ? Quels sont les facteurs qui influent sur le prix des quotas ? Après près de 20 ans d’existence, quels étaient les défis rencontrés par ce marché ? A-t-il eu l’impact souhaité ? Quel est son avenir et atteindra-t-il ses objectifs ?
Pourquoi ce marché a-t-il été créé ? En quoi consiste-t-il ?
L’objectif du SEQE est d’internaliser les externalités et de collecter les fonds nécessaires à la transition énergétique et à la décarbonation. La notion d’externalité désigne les effets positifs ou négatifs engendrés par une transaction économique pour des acteurs qui ne participent pas à l’échange. Dans le cas des GES, il s’agit d’une externalité négative. Le producteur se préoccupe uniquement du coût direct de la production et du profit qu’il peut en tirer, sans tenir compte des coûts indirects pour les personnes subissant la pollution.
Ainsi, à travers le SEQE, l’Europe a mis en place un système de plafonnement et d’échange d’émissions (connu sous le nom de cap-and-trade en anglais), dans lequel les assujettis doivent mesurer, reporter et vérifier leurs émissions, puis rendre compte aux autorités en restituant des quotas d’émissions équivalents. La quantité de quotas introduits annuellement sur le marché est déterminée en fonction de l’objectif de réduction des émissions. Les acteurs du marché peuvent acquérir des quotas lors d’enchères et les échanger entre eux. Le prix des quotas d’émission est ainsi déterminé sur le marché pour équilibrer l’offre (le nombre de quotas disponibles sur le marché, lié principalement à l’ambition climatique) et la demande correspondant aux émissions des assujettis.
Les participants sont incités à réduire leurs émissions car celles-ci ont un coût économique, et il est rentable de les diminuer si le coût de réduction est inférieur au prix du quota d’émission.
L’Europe vise la neutralité carbone du continent d’ici 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de – 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. À la fin de l’année 2023, le SEQE couvrait environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne. Les émetteurs inclus dans le système sont principalement des installations appartenant à des secteurs industriels et énergétiques spécifiques, tels que la production d’électricité, l’industrie manufacturière, les raffineries, l’aviation, la production de chaleur et de vapeur, entre autres. À partir de cette année 2024, le système s’étend au secteur maritime, englobant ainsi 3 % supplémentaires des émissions du continent. Les émissions du secteur maritime deviendront progressivement sujettes à redevance dans le système, avec une couverture de 40 % en 2024, 70 % en 2025 et 100 % en 2026. Le règlement s’applique aux navires de plus de 5000 tonneaux de jauge brute (GT). Toutes les émissions de CO2 seront couvertes sur les liaisons entre les ports de l’UE, tandis que 50 % des émissions seront couvertes sur les liaisons entre les ports européens et les pays tiers.
D’autres secteurs seront également concernés à l’avenir, notamment les émissions directes du transport routier (représentant 20 % à 25 % des émissions totales de l’UE) et des bâtiments (représentant 10 % à 15 % des émissions totales de l’UE), qui seront couverts par un système d’échange de quotas d’émission distinct, le SEQE II. Ce seront les fournisseurs de carburant et de combustibles qui devront s’acquitter des quotas.
Comment garantir que les producteurs européens ne sont pas désavantagés lors de l’importation depuis des pays tiers ayant des normes climatiques moins strictes ? Ou pire encore, comment éviter qu’ils ne délocalisent leurs activités hors d’Europe, entraînant ainsi un phénomène de fuite carbone ? Comment l’Europe peut-elle aborder ce défi mondial au-delà de ses frontières ?
Depuis le 1er octobre 2023, pour compléter le SEQE, l’UE a mis en œuvre une nouvelle réglementation, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Carbon Border Adjustment Mechanism, CBAM), applicable aux marchandises importées désignées en provenance de l’extérieur de l’UE, particulièrement le ciment, l’électricité, les engrais, l’hydrogène, l’acier et l’aluminium.
Pendant la période transitoire jusqu’au 31 décembre 2025, les importateurs concernés devront respecter une obligation déclarative. À partir du 1er janvier 2026, ils seront tenus de verser une contribution financière en achetant des certificats pour compenser les émissions intégrées dans les produits importés dans l’UE.
Quels sont les facteurs qui influent sur le prix des quotas ?
En 2021, plusieurs facteurs ont contribué à une augmentation significative du prix du gaz en Europe : une demande accrue motivée par la reprise économique après les restrictions liées à la pandémie de COVID-19, une offre réduite causée par des problèmes techniques dans les infrastructures et des enjeux géopolitiques, ainsi que des conditions météorologiques défavorables et des niveaux de stocks bas.
Une fois qu’un certain seuil de prix du gaz a été atteint, la production d’électricité à partir de charbon est devenue plus rentable, même si ces installations émettaient deux fois plus de CO2, entraînant ainsi des coûts doublés en termes de quotas.
Les producteurs d’électricité ont simultanément couvert leurs émissions de CO2 sur le marché. Cette demande accrue de quotas a fait grimper le prix de la tonne de CO2.
Dans ces circonstances particulières et pour une durée limitée, le marché du CO2 (et son niveau de prix) n’a pas été en mesure de transmettre le bon signal aux parties prenantes pour les inciter à réduire leurs émissions et par conséquent, il n’a pas accompli sa mission.
On observe que, selon les situations conjoncturelles, une multitude de facteurs influent sur le marché du CO2. Cependant, le facteur le plus déterminant reste la politique de la Commission européenne.
La Commission européenne dispose de plusieurs mécanismes pour influencer l’offre et la demande de quotas de CO2 sur le marché (SEQE) : ajustement du plafond des émissions (cap), allocation gratuite et vente aux enchères, réserve de stabilité du marché (MSR), interventions sur les marchés dérivés, entre autres. De 2€/t en 2007 à 100€/t en février 2023, la volonté politique des Européens demeurera le principal moteur de ce marché.
Après près de 20 ans d’existence, quels étaient les défis rencontrés par ce marché ?
Le marché SEQE a été confronté à plusieurs défis depuis sa création, avec des impacts significatifs sur les objectifs de réduction des émissions de CO2 de l’Union européenne ainsi que sur les acteurs économiques impliqués.
La surallocation initiale de quotas lors du lancement du marché en 2005 a entraîné des prix très bas et une faible incitation pour les entreprises à investir dans des technologies propres.
La volatilité des prix a rendu difficile pour les entreprises de planifier leurs investissements à long terme dans des technologies à faibles émissions de carbone.
De plus, la crainte de la fuite de carbone, c’est-à-dire le déplacement des industries intensives en carbone vers des régions avec des réglementations moins strictes en matière de CO2, a également été un défi majeur.
Pendant de nombreuses années, les prix du carbone sur le marché du SEQE sont demeurés relativement bas, ce qui a limité leur efficacité en tant qu’incitation à réduire les émissions.
Cependant, au fil du temps, des réformes ont été entreprises pour améliorer le fonctionnement du marché et renforcer son efficacité, notamment des ajustements du plafond des émissions, des réformes de la gouvernance et des mesures visant à renforcer les protections contre la fuite de carbone.
A-t-il eu l’impact souhaité ? Quel est son avenir et atteindra-t-il ses objectifs ?
En raison de la multitude de facteurs influents, il est difficile de mesurer avec précision la contribution exacte du marché SEQE à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, certaines études ont montré que ce mécanisme a eu des impacts significatifs dans les secteurs de l’énergie et de l’industrie.
L’objectif du mécanisme est d’inciter à prendre la « bonne décision ». Les décisions dans l’industrie sont souvent largement influencées par leurs impacts économiques. Si le prix d’une tonne de CO2 peut rendre l’investissement « vert » plus rentable, les « bonnes » décisions seront prises.
À 50€/t de CO2, dans des conditions « normales » des marchés énergétiques, les coûts d’exploitation des installations fonctionnant au gaz se rapprochent de ceux fonctionnant au charbon. À 100€/t de CO2, 24€ s’ajoutent au prix du MWh gaz (actuellement aux alentours de 26€/MWh spot). À ces niveaux de prix, nous pouvons parler de décarbonation rentable en industrie.
Par ailleurs, des prix à la tonne de CO2 bien plus élevés (de 500€/t à 700€/t) seront nécessaires pour rendre les carburants renouvelables du secteur maritime ou ceux de l’aviation rentables.
Parallèlement, les avancées technologiques nous permettent de réduire les coûts d’investissement dans les technologies de décarbonation. Cependant, ces progrès doivent également être soutenus financièrement.
Si le marché des quotas de carbone est l’huile de cet engrenage, il est important de se rappeler qu’aucun mécanisme ne fonctionne sans efforts et que l’industrie est au service de son client final, c’est à dire nous.
La question qui se pose est : sommes-nous prêts à faire l’effort ?