«Dorénavant, il est parfaitement envisageable de réaliser toutes sortes de transactions relatives à un bien immobilier en recourant à un DEEP, ce dernier ayant valeur probante sur le bien ou le droit lié à cet actif immobilier.»
Par Jérôme Sutour, avocat associé, responsable des pratiques services financiers et blockchain/crypto-actifs. Il intervient sur tous les aspects de régulation bancaire et financière. Il accompagne plusieurs acteurs spécialisés dans la tokenisation des actifs financiers et immobiliers et l’offre au public de crypto-actifs. jerome.sutour@cms-fl.com
Si l’immobilier, par définition ancré dans le réel, peut apparaître éloigné de la blockchain qui est par essence immatérielle, l’analyse des caractéristiques intrinsèques des dispositifs électroniques d’enregistrement partagés («DEEP», l’autre nom de la blockchain) et des opérations immobilières déjà réalisées laisse au contraire espérer un avenir radieux à leur association.
Pour rappel, le DEEP peut être envisagé comme un registre électronique partagé permettant une grande transparence et sécurité sur les informations qui y sont portées. Le droit français a, dans un premier temps, retenu son utilisation pour les minibons, puis pour les titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations d’un dépositaire central, en prévoyant que ces derniers peuvent être, sur décision de l’émetteur, inscrits dans un DEEP (article L.211-7 du Code monétaire et financier – CMF).
Le seul fait que ce nouveau mode d’inscription des titres soit reconnu offre potentiellement à l’immobilier une plus grande flexibilité et liquidité. En effet, les sociétés non cotées sont, en général, moins liquides que les sociétés cotées. Toutefois, le recours à l’inscription en DEEP permet à toutes les personnes ayant accès à ce registre d’obtenir une information claire et complète sur la structure de leur actionnariat. Ainsi, associée à la possibilité offerte par la blockchain de réaliser des opérations d’acquisition/cession directement, la liquidité d’un actif immobilier détenu au travers d’une société est facilité, d’autant que l’Autorité des marchés financiers a pu reconnaître «qu’une interface qui proposerait uniquement un affichage des intérêts acheteurs et vendeurs relatifs à des instruments financiers, dont les titres financiers inscrits dans un DEEP, sans exécution ni rencontre des intérêts acheteurs et vendeurs ne nécessite pas un agrément au titre de l’exploitation d’une plate-forme de négociation au sens de la directive MIF 2»1.
Au-delà du recours à la blockchain pour l’inscription des titres financiers aux fins de faciliter les opérations immobilières, blockchain et immobilier peuvent être associés quasiment sans aucune limite, si ce n’est la nécessité de recourir à un notaire en vue de la réalisation du transfert de droits réels. En effet, à l’occasion de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi Pacte, le droit français a reconnu le concept de «jeton» défini comme «tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien» (article L.552-2 du CMF).
Dorénavant, il est parfaitement envisageable de réaliser toutes sortes de transactions relatives à un bien immobilier en recourant à un DEEP, ce dernier ayant valeur probante sur le bien ou le droit lié à cet actif immobilier. Des schémas distinguant ainsi la valeur d’usage d’un actif immobilier du droit de propriété sur cet actif sont désormais possibles dans un environnement sécurisé, transparent et automatisé. On peut dès lors, par exemple, envisager des projets de time sharing d’un bien immobilier où le temps d’utilisation du bien serait matérialisé dans la blockchain. D’autres formes d’exploitation sont ainsi concevables pour autant que l’obligation d’inscription au registre des notaires soit encore, si elle est nécessaire, respectée… à moins que le droit français n’évolue de nouveau sur ce point.
1. Position AMF - DOC-2020-02 - Précisions relatives à la notion de plate-forme de négociation, applicables notamment aux titres financiers inscrits dans un dispositif électronique d’enregistrement partagé.