«Le régime de la marge n’est donc pas applicable lorsque le bien revendu ne répond pas à la même qualification juridique que celui qui avait été acquis, comme c’était le cas en l’espèce du fait de la démolition.»
Par Philippe Tournès, avocat associé en fiscalité. Il conseille et assiste les entreprises dans l’ensemble des sujets relatifs à la TVA, notamment liés à l’immobilier. philippe.tournes@cms-fl.com
Le régime de la TVA immobilière possède son cabinet de curiosités et, notamment, le régime de la TVA sur marge qui déroge au principe selon lequel la TVA est due sur le prix de vente et dont le champ d’application comporte bon nombre d’incertitudes.
Ce régime s’applique dans deux cas spécifiques et à la condition que l’acquisition n’ait pas ouvert droit à déduction : sur option pour les cessions d’immeubles achevés depuis plus cinq ans et de plein droit pour les cessions de terrains à bâtir. C’est sur ce dernier point que se concentrent les difficultés.
Alors que l’article 268 du Code général des impôts (CGI) se borne à énoncer que la livraison d’un terrain à bâtir est taxable sur la marge lorsque l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction, l’Administration a précisé dans quatre réponses ministérielles publiées en 2016 que, ce régime étant dérogatoire à l’imposition sur prix total, son application suppose nécessairement que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique.
Cette doctrine a été amendée dans une réponse Vogel du 17 mai 2018, par laquelle l’administration fiscale admet «par tolérance» l’application du régime de la marge à la revente d’un bien acquis sans ouvrir droit à déduction par un lotisseur ou un aménageur qui procède ensuite à sa division en vue de la revente en plusieurs lots. De nombreux contentieux étant nés des rappels opérés par l’Administration, la doctrine issue des réponses de 2016 a été infirmée à plusieurs reprises par les tribunaux et cours administratives d’appel.
S’agissant de la condition d’identité physique, l’administration fiscale ne s’est pas pourvue en cassation, ce qui est cohérent avec l’adoucissement opéré par la réponse Vogel, mais elle a décidé de le faire s’agissant de la condition d’identité juridique du bien revendu par rapport au bien acheté.
Dans une affaire récente, une société exerçant une activité de marchand de biens et de lotisseur avait acquis sans TVA un terrain supportant un immeuble en vue de le céder à des particuliers après démolition de l’immeuble et division cadastrale en sept parcelles et placé ces livraisons sous le régime de la marge. L’administration fiscale en avait contesté l’application. Alors que la cour administrative d’appel de Lyon avait jugé le 20 décembre 2018 que la circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification juridique du bien acheté ont été modifiées avant la cession était sans incidence sur l’application du régime de la marge, le Conseil d’Etat vient de donner raison au ministre.
S’appuyant sur l’article 268 du CGI et l’article 392 de la directive TVA, le Conseil d’Etat juge, dans un arrêt du 27 mars 2020, «que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur revendeur».
Le régime de la marge n’est donc pas applicable lorsque le bien revendu ne répond pas à la même qualification juridique que celui qui avait été acquis, comme c’était le cas en l’espèce du fait de la démolition.
Notons enfin que cette décision n’aborde pas la question du régime de TVA applicable dans le cas d’un lot revendu comme terrain à bâtir après avoir été détaché du terrain d’assiette d’un immeuble bâti. Doit-on, en pareil cas, considérer qu’il y a eu modification des caractéristiques physiques et de la qualification juridique du bien ?