Désormais, pour «que le papier parle et la langue se taise(1)», il faudra qu’il se dématérialise.
Par Romain Boyet, avocat en corporate/fusions & acquisitions. Il intervient notamment auprès des entreprises françaises dans le cadre de leurs opérations de fusion-acquisition et de restructuration ainsi qu’en droit des sociétés et Louis-Nicolas Ricard, Professional Support Lawyer en corporate/fusions & acquisitions.
Nouvelle illustration de l’adaptation des concepts juridiques traditionnels à l’environnement numérique, le décret n° 2019-1118 du 31 octobre 2019, pris en application du règlement eIDAS n° 910/2014 du 23 juillet 2014, autorise les sociétés civiles, commerciales, et certains commerçants, à tenir certains de leurs registres sous forme électronique.
En pratique, il convient de préciser les conditions d’application de cette dématérialisation, susceptible de favoriser progressivement le recours des professionnels à la signature électronique.
Conditions d’application
Pour les sociétés commerciales (art. 1 à 13), la liste des documents susceptibles d’être dématérialisés diffère selon la forme sociale concernée.
Ainsi, pour les sociétés par actions simplifiées, la tenue dématérialisée du registre des décisions de l’associé unique (seul registre prévu par l’art. L.227-9) restera subordonnée à l’existence d’une clause statutaire la prévoyant expressément (art. R.227-1-1)2. Dans les sociétés pluripersonnelles pour lesquelles la liberté statutaire détermine le régime des décisions collectives, la dématérialisation pourra porter sur le registre des décisions des associés.
Pour les sociétés anonymes, les documents susceptibles d’être dématérialisés sont les registres des délibérations du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, le registre de présence à ces conseils et le registre des délibérations des assemblées d’actionnaires. Le texte fait également référence aux «registres des délibérations des assemblées d’obligataires et des assemblées de titulaires de valeurs mobilières donnant accès au capital dans les sociétés par actions».
Pour les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple et les sociétés à responsabilité limitée, y compris les sociétés à responsabilité limitée à associé unique, la tenue dématérialisée des registres des délibérations des associés et l’établissement des procès-verbaux sont également possibles.
Pour les sociétés civiles (art. 14), le décret prévoit la possibilité de tenir de manière dématérialisée le registre des délibérations des associés.
Signature électronique avancée
En cas de recours à une telle dématérialisation des registres, le décret prévoit une certification par signature électronique des copies ou des procès-verbaux des délibérations des organes sociaux dans les sociétés commerciales et des copies ou des procès-verbaux des délibérations des associés dans les sociétés civiles.
Pour mémoire, la signature électronique «consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache» (C. civ., art. 1367, al. 2). Elle est également définie par le règlement européen précité qui prévoit trois degrés de sécurité : simple, avancée et qualifiée.
A cet égard, quelle que soit la forme sociale concernée, le décret prévoit la mise en place d’un procédé de signature électronique «avancée», reprenant les quatre exigences de l’article 26 du règlement européen. Il s’agit donc du niveau de sécurité intermédiaire, sans présomption de fiabilité, réservée à la signature électronique qualifiée.
A noter cependant que pour les sociétés par actions simplifiées unipersonnelles, le décret indique que ce niveau de signature électronique est applicable à titre supplétif lorsque les statuts ne précisent pas les modalités de la signature électronique.
Le texte prévoit enfin que l’ensemble des documents dématérialisés soient datés «par un moyen d’horodatage offrant toute garantie de preuve» (notamment par voie de réception de SMS sur mobile).
Cette digitalisation progressive témoigne en définitive de la volonté du législateur d’œuvrer vers davantage de simplification de la vie des entreprises et des commerçants.
1. Miguel de Cervantès Saavedra, L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, Tome II, Chapitre VII (1615).
2. Voir Actualités ANSA, 12 novembre 2019.