La figure est classique : un preneur à bail d’un immeuble affecté à son activité bénéficie d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires) et son bailleur, malgré la règle du paiement comptant des créances postérieures «utiles»(1) se trouve subir de nouveaux impayés après le jugement d’ouverture.
Par Alexandre Bastos, avocat associé, responsable de l’activité Restructuring-Insolvency. Il intervient sur l’ensemble des problématiques liées à la prévention ou au traitement des difficultés des entreprises, tant en conseil qu’en contentieux et Guillaume Bouté, docteur en droit, avocat membre de l’équipe Restructuring-Insolvency. Il traite de l’ensemble des problématiques soulevées par la défaillance d’entreprises, amiable ou judiciaire. Il intervient tant en conseil qu’en contentieux. Il est chargé d’enseignement à l’Université Paris II Panthéon-Assas et à l’ULCO.
L’alternative droit commun/droit spécial
Tenu en échec pendant trois mois2, le bailleur retrouve le droit d’agir efficacement contre le débiteur afin, notamment, d’obtenir la résolution du contrat de bail. Enfin généreux avec le bailleur-créancier, le législateur lui ouvre deux voies, a priori alternatives, de résiliation :
– une première issue du droit commun fondée sur les articles L.145-41s. du Code de commerce : mise en œuvre de la clause résolutoire par émission d’un commandement de payer puis constatation de l’acquisition de la clause lorsque le commandement est resté infructueux durant un mois ;
– une seconde spécifique à la procédure collective du preneur fondée sur les articles L.622-14 ou L.641-12 du Code de commerce : constatation de la résiliation de plein droit par le juge-commissaire pour défaut de paiement des loyers postérieurs.
Le trouble
Cette alternative a toutefois été troublée par une interrogation sur la nécessité de respecter, dans le cadre de l’action devant le juge-commissaire, les formalités prescrites par le droit commun.
L’autonomie de la voie spéciale confirmée
La Cour de cassation3 a confirmé l’autonomie de l’action devant le juge-commissaire dans un arrêt qui revêt la forme des décisions de principe en affirmant que «lorsque le juge-commissaire est saisi, […], d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, […] obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L.145-41 […], à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail».
Dans le cas d’espèce, le bailleur, agissant sans avoir délivré préalablement de commandement visant la clause résolutoire du bail et sans se prévaloir du bénéfice de ladite clause, sollicitait du juge-commissaire le constat de la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des sommes afférentes à une occupation postérieure des locaux. L’enjeu de l’espèce était particulièrement fort puisqu’en parallèle le liquidateur judiciaire avait organisé la cession du fonds de commerce du débiteur en ce inclus le droit au bail. Ce dernier point renforce, à l’évidence, la portée de l’arrêt.
Les juges du fond sont censurés par la Cour pour avoir fait une application cumulative des régimes de résiliation du bail.
Ainsi, le bailleur, qui agit devant le juge-commissaire pour lui demander la simple constatation de la résiliation de plein droit du bail, n’est pas dans l’obligation de délivrer préalablement un commandement de payer visant la clause résolutoire.
La consécration sans équivoque de l’autonomie de la résiliation exercée conformément au droit spécial des procédures collectives doit être saluée du point de vue du bailleur dont elle préserve les intérêts.
Toutefois, il est à craindre que cette jurisprudence vienne compliquer les reprises d’activité, les organes de procédure pouvant être frileux à organiser une cession dans les cas où cette dernière repose largement sur le transfert d’un contrat de bail fragilisé.
1. Art. L.622-17 du C. com. :
«[…] créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période […]».
2. Art. L.622-14 et L.641-12 du C. com.
3. Cass. com., 9 octobre 2019, n° 18-17563.