Il aura fallu attendre à peine plus de six mois pour que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) transpose à un contrat de crédit-bail l’analyse qu’elle avait retenue à la fin de l’année 2018 dans l’arrêt MEO(1).
Par Armelle Abadie, avocat counsel en fiscalité. Elle conseille et assiste les entreprises, notamment en immobilier, dans l’ensemble des sujets relatifs à la TVA ainsi que dans le suivi et la gestion de contrôles fiscaux et de contentieux.
Pour mémoire, dans cette affaire rendue dans le cadre d’une résiliation anticipée d’un contrat d’abonnement assorti d’une période minimale d’engagement du client auprès d’un opérateur de téléphonie, la Cour avait jugé que l’indemnité versée par le client devait être soumise à la TVA au motif qu’elle constituait la contrepartie que le client s’était engagé à verser pour bénéficier des services. Cette indemnité avait été dès l’origine contractuellement prévue en cas de défaillance du client et son montant correspondait exactement à la rémunération nette que le prestataire aurait encaissée si le contrat s’était poursuivi jusqu’au terme convenu.
La Cour avait alors retenu une approche économique selon laquelle, dès lors que l’indemnité était convenue entre les parties dans le contrat initial, elle faisait partie de son équilibre économique global et devait donc être taxée à la TVA comme l’auraient été les services fournis par l’opérateur de téléphonie.
Ce raisonnement a été repris dans un arrêt du 3 juillet 20192. La question préjudicielle soumise à la CJUE portait sur la possibilité, pour un crédit-bailleur, de réduire la base d’imposition à la TVA d’un contrat de crédit-bail pour tenir compte du montant des loyers impayés par son locataire. C’est à l’occasion de cette question que la Cour a précisé que l’indemnité de résiliation anticipée prévue par un contrat de crédit-bail immobilier avec option d’achat doit être regardée comme la contrepartie d’une prestation de services individualisable effectuée à titre onéreux et soumise à la TVA.
Rappelons que les indemnités versées par un preneur ou un crédit-preneur à l’initiative d’une rupture anticipée d’un bail ou d’un crédit-bail ne sont généralement pas taxées car elles ne rémunèrent aucun service individualisé (à l’inverse des indemnités de résiliation anticipée versées par le bailleur ou crédit-bailleur considérées comme la contrepartie du service rendu par le preneur ou le crédit-preneur de libérer les locaux par anticipation).
Dans l’affaire UniCrédit, il semblait logique de conclure au non-assujettissement à la TVA de l’indemnité dont le crédit-preneur était redevable puisqu’il n’y avait plus aucun service rendu par le crédit-bailleur. La Cour considère toutefois que la contrepartie du montant payé par le preneur au bailleur est constituée du droit du preneur de bénéficier de l’exécution, par ce dernier, des obligations précises découlant du contrat, même si le preneur ne souhaite pas ou ne peut pas mettre en œuvre ce droit pour un motif qui lui est propre3. Autrement dit, la résiliation du contrat ne modifie pas la réalité économique de la relation entre les parties puisque le montant de l’indemnité de résiliation anticipée fait partie intégrante du montant total que le preneur s’est engagé à verser pour l’exécution par le bailleur de ses obligations (au cas particulier, le montant de l’indemnité correspondait au montant des loyers restant à courir à compter de la date de résiliation).
Au regard de cette analyse suivant laquelle une indemnité de résiliation anticipée d’un contrat est taxable dès lors que son principe est convenu lors de la conclusion du contrat et que son montant fait partie de l’équilibre économique global ; et le bailleur a rendu une prestation du seul fait qu’il a consenti au client le droit d’en bénéficier, même si ce dernier y renonce, les circonstances dans lesquelles une indemnité de résiliation anticipée d’un contrat de bail ou de crédit-bail ne serait pas assujettie à la TVA nous paraissent désormais réduites.
1. Aff. C-295/17, 22 novembre 2018, cf. notre Lettre de l’Immobilier n°52 du 11 février 2019.
2. Aff. C-242/18, UniCrédit Leasing EAD.
3. Aff. C-250/14 et 289/14, Air France KLM et Hop ! Brit’air.