«Dès lors que la SA Mydibel n’a pas cessé de disposer du bien et qu’il n’a pas changé d’affectation, aucune régularisation de la TVA antérieurement déduite n’est exigible selon la Cour.»
Traditionnellement, en matière de TVA, la cession-bail s’analyse en deux opérations successives et croisées entre deux opérateurs, à savoir une vente suivie d’un crédit-bail, chacune de ces opérations étant traitée de manière indépendante. Lorsqu’elle porte sur un immeuble ancien, la cession de l’actif est, sauf option du vendeur pour la taxation, exonérée de TVA. Elle peut alors entraîner des reversements, par le vendeur au Trésor, d’une fraction de la TVA antérieurement déduite (soit le nombre de vingtièmes restant à courir dans le délai de régularisation - article 207, III, 1, 1° de l’annexe II au Code général des impôts). A la condition que le crédit-bail soit soumis à la TVA, le vendeur peut transférer au crédit-bailleur ces vingtièmes qui sont déductibles pour ce dernier, mais qui constituent un élément du prix et sont donc soumis aux droits d’enregistrement.
Par un arrêt Mydibel du 27 mars 2019 (aff. C-201/18), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) adopte une toute autre approche.
Au cas particulier, la Cour devait se prononcer sur l’obligation, ou non, pour le vendeur1 (la SA Mydibel) de reverser au Trésor une quote-part de la TVA déduite lors de l’acquisition de l’immeuble dès lors que sa cession au crédit-bailleur est exonérée.
La CJUE juge que la vente du droit immobilier consentie par la SA Mydibel et le crédit-bail immédiatement accordé par la banque doivent être considérés comme ne formant qu’une seule opération du point de vue de la TVA. Elle ajoute que la vente du droit immobilier ne constitue pas une livraison de biens, au sens de la TVA, dès lors que la venderesse conserve la jouissance de son actif grâce au crédit-bail qui lui est accordé immédiatement.
En conséquence et dès lors que la SA Mydibel n’a pas cessé de disposer du bien et qu’il n’a pas changé d’affectation, aucune régularisation de la TVA antérieurement déduite n’est exigible selon la Cour.
Si cette approche est parfaitement compréhensible au regard de la réalité économique du Sale and Lease-back, elle n’en demeure pas moins inédite pour l’application de la TVA. En effet, elle conduit, en particulier, la CJUE à voir une seule opération dans la réalisation de deux transactions, certes concomitantes, mais réalisées par des opérateurs différents.
Outre la question des régularisations soulevées dans l’affaire Mydibel, le raisonnement suivi par la Cour soulève de nombreuses questions, en particulier quant au régime de l’opération unique identifiée qui nous paraît naturellement tendre vers une opération financière présentant des caractéristiques économiquement comparables à une opération de prêt. Le régime de cette opération serait alors différent des deux opérations distinctes de cession et de location dont elle se compose et la détermination du prix de cette opération poserait difficulté. Par ailleurs, le raisonnement de la Cour, qui écarte la vente réalisée sur le plan juridique pour privilégier une analyse économique de la situation, nous paraît transposable à d’autres situations dans lesquelles s’opère un transfert de la propriété sans dépossession du vendeur. Nous pensons principalement aux opérations de démembrements de propriété ou à la fiducie.
Reste à savoir si cet arrêt, dont il faut souligner qu’il a été rendu sans conclusion de l’avocat général, constitue un cas d’espèce dont la solution aurait été adoptée dans un souci d’équité ou s’il confirme que, désormais, la Cour favorise systématiquement une approche économique des opérations au détriment de leur consistance juridique.
1. En l’espèce, l’actif vendu était un droit d’emphytéose. L’octroi de ce droit est toutefois assimilable à la cession de l’immeuble en droit français.