Par définition les opérations de cession de titres ou d’activité ne sont pas subordonnées à l’accord des représentants du personnel. Toutefois, certaines actions des représentants du personnel peuvent retarder voire empêcher la réalisation de l’opération à moyen terme. Après la réalisation de l’opération, les salariés ou leurs représentants peuvent également contester les conséquences sociales de l’opération, fragilisant l’intérêt de l’opération.
Par Titrite Baamouche, avocat en droit du travail et protection sociale. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux et plus particulièrement dans le cadre d’opérations de restructuration d’entreprise et de négociation des statuts collectifs. titrite.baamouche@cms-fl.com et Maïté Ollivier, avocat en droit du travail et protection sociale. maite.ollivier@cms-fl.com
La nécessaire préparation des procédures de consultation des représentants du personnel en vue de limiter le risque de report de mise en œuvre
Le législateur a encadré et tenté de sécuriser les procédures de consultations des représentants du personnel en prévoyant des délais préfix de consultation. Ainsi, le comité social et économique (CSE) dispose d’un délai d’un mois pour rendre son avis sur le projet. Ce délai commence à courir à compter de la remise des informations. A défaut d’avis dans ce délai, il est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif1. Ce délai est porté à deux mois en cas de recours à une expertise et à trois mois en cas d’expertise et de consultation dans des entreprises ayant une représentation du personnel complexe2.
Un contentieux peut néanmoins intervenir afin de prolonger ce délai de consultation. Ainsi, les représentants du personnel peuvent tenter de solliciter, par la voie judiciaire d’urgence, des informations plus précises sur l’opération envisagée et ses conséquences sociales, considérant que les données transmises sont insuffisantes. De même, le CSE peut demander, en cas de projet paneuropéen, que le comité d’entreprise européen soit consulté préalablement à la mise en œuvre de l’opération. Dans ce cadre, le CSE sollicite du juge la suspension du projet jusqu’à ce qu’il ait été régulièrement consulté.
Les décisions sont nombreuses sur ce sujet et démontrent qu’il est nécessaire de porter une attention particulière à la qualité et la complétude des informations transmises au CSE pour pouvoir se prévaloir des délais légaux. Cette démarche implique de pouvoir, dès le début de la procédure de consultation, présenter l’ensemble des informations portant sur l’opération envisagée, son calendrier prévisionnel et ses conséquences sociales, et engager les procédures de consultation aux niveaux appropriés des représentations du personnel. Afin de sécuriser la procédure, une autre solution consiste à convenir avec les représentants du personnel, en amont ou à l’occasion de l’opération, d’un délai de consultation. A défaut, la réalisation de l’opération est susceptible d’être reportée, dès lors que cette dernière ne peut être finalisée avant le terme de la procédure de consultation du CSE.
Des précautions en vue de limiter les risques de contentieux sociaux post-transfert
Les entreprises doivent également se montrer vigilantes et anticiper les difficultés susceptibles de survenir après la réalisation de l’opération : du salarié refusant de prendre ses fonctions auprès de son nouvel employeur à celui qui perd le bénéfice d’un statut collectif avantageux, nombreuses sont les motivations à l’origine de contentieux individuels ou en séries après la mise en œuvre des opérations de transfert d’activité. Ces contentieux, selon leur ampleur, sont susceptibles de remettre en cause l’intérêt de l’opération que ce soit pour le vendeur ou l’acquéreur.
Par exemple, dans le cadre des transferts d’activité, la validation des conditions d’application des transferts automatiques des contrats de travail et la détermination du périmètre des salariés impactés par le projet de cession sont essentielles afin de sécuriser la réalisation de l’opération.
Ainsi, pour limiter le risque de remise en cause du transfert, les parties devront procéder à une analyse de l’application des dispositions impératives de l’article L.1224-1 du Code du travail. Dans l’hypothèse d’un transfert partiel d’activité, rappelons que les salariés affectés à l’entité économique autonome reprise par l’acquéreur pourront se voir imposer un changement d’employeur. La question se pose alors de savoir comment traiter le cas des salariés dont une partie des fonctions seulement est rattachée à l’activité reprise. Selon la Cour de cassation, le transfert légal de ces salariés est de droit dès lors qu’ils exerçaient «l’essentiel de [leurs] fonctions» dans l’entité cédée3. Si le pragmatisme de cette solution a été salué, l’appréciation de ce caractère «essentiel» peut soulever des interrogations pratiques et il ne peut être exclu que les salariés contestent les conditions de leur transfert devant les juridictions prud’hommales. En vue d’anticiper ce risque, il appartient au vendeur de réunir les indices permettant de justifier de l’affectation essentielle du salarié sur l’activité concernée par l’opération (planning horaire, plan de rémunération variable, organigrammes, prime spécifique, etc.) et à l’acquéreur de justifier qu’il poursuit l’activité reprise.
De même, dans les opérations impliquant des groupes de sociétés, les entités cédées devront prêter une attention toute particulière aux risques de voir engager la responsabilité de la société mère postérieurement à la cession d’une activité en difficulté. Les salariés peuvent être tentés d’engager ce type de contentieux lorsqu’ils ont été licenciés pour motif économique après l’opération de cession. Cette démarche vise généralement à obtenir une indemnisation plus importante compte tenu des moyens du groupe qu’ils ont quitté. Au regard des dernières jurisprudences de la Cour de cassation, si les salariés sollicitent désormais rarement la reconnaissance d’une situation de co-emploi entre leur entreprise d’origine et sa maison mère dans cette hypothèse (une telle demande étant difficile à établir au plan collectif4), se développe un important contentieux relatif à l’engagement de la responsabilité délictuelle de la société mère. Pour que cette action prospère, les salariés doivent démontrer que la société mère a commis une faute dont la nature et la gravité a causé les difficultés de sa filiale5.
Dans ce contexte, et en vue de limiter les risques financiers liés à ces éventuels contentieux, il est nécessaire de pouvoir justifier des liens mesurés entre la société mère et la filiale cédée. Ainsi, la société mère doit, dans la mesure du possible, respecter un juste équilibre entre l’harmonisation nécessaire des stratégies au niveau du groupe, l’immixtion de façon anormale dans les affaires de la filiale (au plan économique, stratégique et de la gestion des activités et des salariés) et le désintéressement ou l’absence d’investissement qui pourrait lui être également reproché.
En conséquence, la préparation des procédures de consultation et des conséquences sociales des opérations de cession sont indispensables à la maîtrise du calendrier de mise en œuvre du projet. Ces démarches permettent également de limiter les risques de contestation postérieurement à la cession. Au regard des conséquences que peuvent représenter les actions des salariés ou de leurs représentants si elles aboutissent en la matière, la prudence recommande d’anticiper ces risques de contentieux afin de sécuriser l’économie de l’opération, tant au plan social que financier.
1. Article R. 2312-6 du Code du travail.
2. Présence d’un CSE central et de CSE d’établissement.
3. Cass. soc., 21 septembre 2016,
n° 14-30.056.
4. Cass. soc., 24 mai 2018, «Métaleurop Nord», n° 17-15.630.
5. Cass. soc., 24 mai 2018, «Boyer», n° 16-18.621.