Depuis quelque temps déjà les régimes de «patent box» (termes employés généralement pour désigner les régimes dérogatoires et favorables de taxation des brevets) sont sur le devant de la scène. L’OCDE, en septembre 2015, a adopté son rapport sur la concurrence fiscale dommageable (l’«action 5») lequel apporte une solution à la concurrence que se livrent les Etats sur ce terrain (tout en ayant vocation à s’appliquer à d’autres régimes préférentiels) : l’organisation lie tout avantage fiscal à la «substance». Ce rapport soulève un certain nombre de problématiques.
Par Emmanuel Raingeard de la Blétière, maître de conférences à l’université de Rennes 1, membre du centre de Droit des Affaires, du Patrimoine et de la Responsabilité, counsel, PwC Société d’Avocats
Le principe
L’application d’un régime préférentiel à des revenus générés par la propriété intellectuelle («PI») ne serait possible que dans la proportion des coûts de développement de l’incorporel exposés par le contribuable (les dépenses éligibles) par rapport à l’ensemble des coûts de R&D (y compris, par exemple, les coûts d’acquisition). Se trouvent exclus les frais d’acquisition de la PI et les coûts de sous-traitance exposés intragroupes (la sous-traitance à des tiers étant éligible). En conséquence, le bénéfice du régime suppose une activité de R&D substantielle et effective du propriétaire de la PI lui-même.
Par rapport au texte initial de septembre 2014, l’OCDE a adopté le principe du levier (l’uplift), qui a pour objet de limiter l’incidence de cette nouvelle approche pour les sociétés qui acquièrent des incorporels tout en menant une activité de recherche soutenue. De même, elle permet aux sociétés de recourir dans une certaine limite à la sous-traitance intragroupe. Ainsi, l’uplift permet la prise en compte des dépenses d’acquisition de PI et de sous-traitance intragroupe dans la limite de 30 % des dépenses éligibles sans que le montant ne puisse excéder le montant total des dépenses. Par exemple, une société exposant 100 de dépenses qualifiées peut atteindre un montant de dépenses éligibles de 130 (100 + [100 × 30 %]), ce qui lui permettra par exemple d’acquérir des actifs incorporels pour 10 et de prendre en compte des dépenses de sous-traitance intragroupe pour 20. On peut saluer cette avancée même si elle ne facilite pas nécessairement le suivi des dépenses, qui pourrait être d’une redoutable complexité.
Ces principes devraient être mis en œuvre à compter du 30 juin 2016. A cette date (au plus tard), d’une part, les régimes actuels ne pourront plus bénéficier à de nouveaux entrants et, d’autre part, les Etats membres devront avoir introduit de nouveaux régimes qu’ils doivent commencer à élaborer immédiatement. Une clause de «grand-père» permet d’appliquer le régime actuel pendant cinq ans à compter de la mise en œuvre du nouveau régime, c’est-à-dire au plus tard jusqu’au 30 juin 2021.
Les difficultés
La lutte contre la concurrence fiscale dommageable fait l’objet, au niveau de l’UE et de l’OCDE, d’engagements politiques. La forme choisie emporte deux conséquences majeures : les solutions ne sont pas légalement contraignantes et ne sont pas empreintes de toute la rigueur juridique nécessaire... La qualification des mesures dommageables en est une illustration. Il nous semble que doit être qualifiée comme telle une mesure préférentielle (caractère apprécié aux bornes du système de l’Etat qui l’édicte) en matière d’impôt sur les sociétés, qui est potentiellement dommageable en raison d’un taux d’imposition nul ou très faible (critère dirimant) et, notamment, du fait qu’elle ne requiert pas de substance ou manque de transparence. Enfin, elle doit produire des effets économiques dommageables (c’est-à-dire que, par exemple, elle génère un déplacement de l’activité d’un pays à l’autre). Pourtant, le rapport ne semble pas suivre une telle démarche, une mesure préférentielle ne respectant pas le nexus semble automatiquement qualifiée de dommageable. Ainsi, le rapport paraît considérer que le régime français de taxation de la propriété intellectuelle serait un instrument de concurrence dommageable, en raison de ce que, notamment, la PI acquise peut bénéficier de la mesure (au bout de deux ans). Néanmoins si l’on ne peut nier qu’il s’agit d’une mesure préférentielle, le taux d’imposition est-il vraiment si faible ? Et dans l’affirmative, le régime produit-il réellement des effets dommageables ?
Enfin, il convient d’attirer l’attention sur le fait qu’une telle solution, pourtant adoptée par l’UE dans le cadre politique du Groupe code de conduite, paraît prima facie poser des problèmes de compatibilité au regard du droit de l’Union européenne. Par exemple, au regard des libertés fondamentales, on ne peut que s’interroger sur la restriction du bénéfice d’un avantage préférentiel aux seules activités réalisées sur le territoire de l’Etat membre qui le consent. Selon le rapport du Groupe code de conduite, les situations ne seraient pas nécessairement comparables, mais «ceci bien sûr n’exclut pas la possibilité qu’une mesure nationale particulière soit jugée incompatible [...] Ceci dépendra du contexte factuel et juridique du cas d’espèce1». A suivre…
1. Rapp. Groupe code de conduite, 11 déc. 2014, 16553/1/14, FISC225 ECOFIN 1166, pt 11.