Bien qu’elle soit absente du corpus législatif et conventionnel français, la substance occupe une place de choix au palmarès des concepts les plus maniés par les fiscalistes. Le projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), lancé en 2013 par l’OCDE et le G20, lui a définitivement donné ses titres de noblesse puisque la substance est l’un des trois piliers autour desquels s’articulent les quinze chantiers BEPS.
Par Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats
Selon l’OCDE, l’objectif commun des cinq chantiers relatifs à la substance est de «faire en sorte que les bénéfices soient imposés là où les activités économiques sont réalisées et là où la valeur est créée».
L’OCDE ne s’est pas aventurée à définir la substance. Et pour cause ! La substance est à ce point protéiforme qu’il serait vain de tenter d’en fournir une définition unique. A cet égard, il est symptomatique de constater que les critères de substance retenus d’un pays à l’autre s’agissant des sociétés holdings relèvent du grand écart. D’un côté, les pays traditionnellement considérés comme «accueillants» pour l’implantation de holdings, tels les Pays-Bas et le Luxembourg, se concentrent sur des critères de substance objectifs et matériels tels que l’existence de locaux, de comptes bancaires, de directeurs locaux, etc. D’un autre côté, les pays qui sont généralement à la source des paiements, tels la France ou l’Allemagne, ont une approche plus subjective, certains diront subtile, de la substance en s’intéressant à l’activité économique exercée par la holding et aux objectifs de la structure.
S’agissant du cas particulier des sociétés holdings ou plus généralement, des sociétés interposées, l’actualité récente a été extrêmement riche, tant au niveau de l’OCDE qu’au plan européen ou français.
Au niveau international ; le rapport publié le 5 octobre 2015 par l’OCDE au titre de l’action 6 crée un nouveau standard minimum visant à lutter contre l’utilisation abusive des conventions fiscales et, en particulier, celle découlant du «treaty shopping» et de l’utilisation de sociétés interposées. Ce standard minimum prévoit la modification du modèle de convention fiscale de l’OCDE et l’adoption corrélative, dans les conventions fiscales bilatérales, de dispositions s’orientant autour de deux axes principaux. Premièrement, les conventions devront mentionner expressément, dans leur titre et leur préambule, que l’intention conjointe des signataires est d’éviter de créer des possibilités de non-imposition ou d’imposition réduite résultant de comportements de fraude ou d’évasion fiscale. Ce premier point n’aura pas d’impact sur les conventions signées par la France car la quasi-totalité d’entre elles sont d’ores et déjà rédigées de la sorte. Deuxièmement, les Etats devront inclure dans leurs conventions une clause de limitation de bénéfices s’inspirant du modèle de convention fiscale des Etats-Unis conjointement ou alternativement à une règle anti-abus générale fondée sur l’objet principal de la transaction.
Contrairement à la pratique conventionnelle, ces changements seront introduits dans les conventions fiscales existantes via un traité multilatéral et non via des instruments bilatéraux. Aux incrédules qui, il y a peu, souriaient à l’évocation d’un tel instrument, l’OCDE répond avec panache que les négociations sont en cours et que la signature de cet instrument interviendra au plus tard au 31 décembre 2016, c’est-à-dire demain !
Au niveau européen, la question de la substance a été au cœur des motivations qui ont présidé à l’amendement de la directive (UE) 2015/121 du 27 janvier 2015 dite «directive mère-fille» en vue de l’introduction d’une clause anti-abus aux termes de laquelle les Etats membres n’accordent pas les avantages de la directive à un montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de la directive, n’est pas authentique. A cette fin, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique. La directive devra être transposée en droit national au plus tard le 31 décembre 2015. Cette transposition devrait intervenir en droit français dans le cadre de la loi de finance rectificative pour 2015.
Enfin, au niveau français, la substance des sociétés holdings est sous les feux nourris des artificiers des brigades de vérification qui utilisent à pleine puissance l’arsenal des dispositifs anti-abus. On notera quelques décisions récentes illustrant cette tendance. Dans la lignée des arrêts Sagal, Pléiade et Andros, le Conseil d’Etat (CE, 11 mai 2015, Sté Natixis, n° 365564) a récemment fait application de l’abus de droit pour refuser l’application du régime mère-fille à des dividendes perçus par une société française d’une filiale luxembourgeoise. De nombreuses décisions ont également été rendues, ces dernières années, à propos de la clause anti-abus figurant à l’article 119-ter du CGI. On citera, parmi les plus récentes, les arrêts Holcim et Flèche Interim rendues par les Cours administratives d’appel de Versailles et de Nantes (CAA Versailles, 8 juillet 2015, Sté Holcim SAS, n° 13VE01079 ; CAA Nantes, 28 mai 2015, SARL Flèche Interim, n° 13NT02033) qui ont toutes deux fait droit aux arguments de l’administration fiscale qui refusait l’application de l’exonération de retenue à la source à des dividendes payés par des sociétés françaises à des mères européennes dépourvues de substance adéquates permettant de justifier de leur interposition dans la structure de détention.
Bref, la substance est à consommer sans modération.