La dématérialisation de l’économie ainsi que les comportements fiscaux qui ont pu être perçus comme des abus mais qui ne sont le plus souvent que la stricte application des textes ont conduit à des résultats fiscaux et économiques qui ont choqué les Etats et parfois le grand public en créant un déséquilibre de ressources fiscales entre les Etats.
Par Michel Combe, avocat associé, PwC Société d’Avocats
Le rapport sur l’action 7 propose de revoir certaines des définitions de l’établissement stable dont celles liés aux activités de support dites aussi auxiliaires et préparatoires tout en s’assurant par ailleurs que ces modifications permettront de mettre en échec les pratiques visant à éviter de manière inappropriée l’apparition d’un lien contractuel entre un client et une entreprise, en particulier en faisant appel à des commissionnaires plutôt qu’à des distributeurs ou en fragmentant les activités de manière artificielle.
Le premier projet de rapport sur une nouvelle définition de l’établissement stable et particulièrement sur les exceptions à l’établissement stable était un ensemble de propositions de définitions et ne faisait pas de recommandations.
Le rapport publié en octobre 2015 fait de telles propositions et a retenu en partie les commentaires de la communauté économique en écartant des propositions dont les définitions étaient trop vagues et donc susceptibles de conduire à des divergences d’interprétation entre les Etats et à des doubles impositions, ce qui par définition n’est pas souhaitable.
L’OCDE retient une définition élargie de l’agent dépendant. Il y aurait un établissement stable toutes les fois où l’intermédiaire présent sur un territoire donné joue un rôle clé dans la conclusion de contrats qui sont régulièrement approuvés par le principal établi dans un autre territoire sans que ce dernier n’y apporte de changements majeurs.
Le rapport signe la fin du contrat de commissionnaire. A sa lecture, il convient d’y renoncer et de recourir à un autre modèle contractuel et économique afin de conduire des activités de distribution à risques faibles.
L’OCDE écarte clairement cet outil juridique que le Code de commerce français connaît et que la jurisprudence fiscale française accepte pleinement dès lors que le commissionnaire agit dans le cadre et les limites de sa mission.
La lecture du rapport permet de comprendre les raisons qui conduisent l’OCDE à écarter ce modèle contractuel. L’OCDE note que dans ce cadre juridique, il n’est pas possible de fiscaliser le profit provenant de la vente des biens et des services mais seulement la commission de l’intermédiaire. De même, l’OCDE indique qu’il n’est pas possible d’imposer les profits provenant de ces ventes de biens ou de services au travers de la notion d’établissement stable puisque le commettant n’est pas réputé avoir un tel établissement stable dans l’état du commissionnaire au terme des commentaires sur l’article 5 de la convention modèle de non double imposition. Enfin, l’OCDE note que la plupart des contentieux en matière de commissionnaires portés par les autorités fiscales devant les tribunaux ont donné lieu à des décisions favorables aux contribuables. On citera en particulier la décision Zimmer en France. Les préoccupations budgétaires des Etats seraient donc la cause de ce rejet du contrat de commissionnaire et plus largement de contrats d’effet équivalent.
Au regard de ces éléments, une première conclusion s’impose pour les entreprises : il faut faire évoluer de manière urgente les opérations commerciales fondées sur le recours aux commissionnaires.
Se pose alors une question : quel modèle adopter dans un environnement économique où la recherche d’efficience conduit à centraliser des fonctions, des actifs et stocks et donc in fine des risques ? Est-ce que le modèle de «limited risk distributors» (LRD) qui a été retenu par nombre d’entreprises demeure une réponse sécurisée ?
Le rapport définitif de 2015 est moins affirmatif que le premier projet. Le rapport d’octobre 2015 confirme certes que le LRD est une option. Cette réponse paraît logique par rapport aux raisons qui ont conduit les membres de l’OCDE à écarter les contrats de commissionnaires. Le LRD a la propriété des marchandises vendues. Il peut être soumis à imposition sur cette fraction de cette activité alors que le commissionnaire, n’ayant jamais cette propriété, ne peut donc être imposé que sur le seul service rendu.
Donc si le LRD est une réponse possible, l’OCDE indique aussitôt qu’il convient de l’examiner au regard de l’action 9, c’est-à-dire de l’une des trois actions liées au thème des prix de transfert et plus particulièrement à l’analyse des risques au sein de cette action.
Ce renvoi conduit à l’interrogation classique de la prévalence du contrat ou de la réalité opérationnelle : est-ce que le LRD assume effectivement les risques qu’il est censé assumer avec les moyens humains, techniques et financiers pour les identifier, les gérer et les assumer en cas de survenance ?
Cette référence à l’action 9 doit conduire les entreprises qui adopteront ou maintiendront leur modèle de distribution sous la forme de LRD à s’assurer que la gouvernance adoptée et la mise en œuvre sont conformes à ce qu’un LRD doit faire par rapport à l’entrepreneur qui lui confie la commercialisation de ses biens et services sur un territoire donné.
Le rapport sur l’action 7 aborde aussi les activités dites auxiliaires et préparatoires. Le rapport propose une approche claire de cette notion. Une activité n’est pas par nature auxiliaire et préparatoire. Elle n’est auxiliaire et préparatoire que par rapport à la chaîne de valeur d’un groupe d’entreprises donné.
Un des exemples proposés dans ce rapport illustre cette approche, à savoir celui d’un distributeur de biens via Internet, qui dispose de stocks et de locaux afin de livrer ses clients. Ce stockage n’est pas une activité préparatoire. Cette activité est un élément clé de la chaîne de valeur sans lequel le distributeur ne pourrait pas exercer son activité.
Un autre exemple donné par ce rapport est celui d’un lieu de stockage par un industriel. Si ce stockage de proximité est limité à la livraison, l’activité est sûrement auxiliaire. Si ce stockage est nécessaire pour permettre à cet industriel d’assurer vis-à-vis de ses clients le maintien en état de marche des équipements livrés auxquels il s’est engagé, l’activité de stockage n’est plus auxiliaire et préparatoire. Elle est une partie clé de son activité économique et dès lors, elle doit être imposée dans l’Etat où elle est déployée.
Il est essentiel que les entreprises revoient leur analyse historique de leurs implantations internationales afin de s’assurer que la qualification initialement retenue peut être confirmée aujourd’hui au regard de ces nouveaux commentaires de l’OCDE qui seront repris dans les commentaires sur le modèle type de convention de non double imposition lors de l’adoption de l’instrument multilatéral. Le recours à l’instrument multilatéral devrait conduire à une harmonisation des interprétations de cette notion clé qu’est l’établissement stable, réduisant les cas de double imposition.
S’agissant des activités dites fractionnées, la réponse proposée par l’OCDE est adaptée mais, sur la base de notre expérience, ne vise que des situations marginales où des entreprises auraient volontairement fractionné leur présence dans certains Etats pour éviter la qualification d’établissement stable qui aurait prévalu si elles avaient été regroupées dans une même unité. Toutefois, cette situation peut trouver une certaine pertinence dans des cas particuliers comme celui de deux groupes qui fusionnent et peuvent dans une phase de transition avoir des activités fractionnées qui individuellement ne sont pas constitutives d’un établissement stable mais qui du fait du rapprochement le deviennent.
Nous ne commenterons pas plus avant les commentaires sur les chantiers qui ne nous paraissent pas devoir conduire à modifier les pratiques commerciales ou opérationnelles. Les pratiques mentionnées par l’OCDE pour justifier ces nouveaux commentaires ne nous paraissent pas être le reflet d’une pratique fréquente des entreprises.
En conclusion de la lecture de ce rapport sur l’action 7, au-delà des actions qui doivent être mises en œuvre à brève échéance par les entreprises pour s’assurer de la situation de leurs implantations internationales au regard de ces nouveaux commentaires, un constat s’impose. Ce rapport demeure incomplet car une fois que nous avons identifié ce qui est constitutif d’un établissement stable, se pose nécessairement la question de la base imposable attribuable au dit établissement stable. L’OCDE nous renvoie à de prochains travaux pour définir cette base.