Dans un contexte d’intensification de la lutte contre l’évasion fiscale, l’idée de transparence en tant que garante d’une «responsabilisation fiscale» des groupes multinationaux tend à se généraliser. Néanmoins, la maîtrise des enjeux que représente une transparence fiscale imposée devrait permettre aux acteurs concernés de définir leur propre stratégie de transparence.
Par Sylvain Grall, avocat, et Marine Gril-Gadonneix, avocat directeur, PwC Société d’Avocats
Quelques jours après l’adoption par les ministres des Finances de l’Union européenne d’un accord pour l’échange automatique d’informations sur les accords fiscaux passés entre les Etats et les multinationales1, les ministres des Finances des pays du G20 ont adopté le plan de lutte de l’OCDE contre l’évasion et l’optimisation fiscales («BEPS» ou «Base Erosion and Profit Shifting2»).
La transposition de ces mesures dans les législations internes des Etats devrait, à terme, permettre l’élimination de certaines disparités existantes au sein des règles fiscales internationales et ainsi mettre fin à certaines pratiques fiscales dommageables. L’atteinte de cet objectif ambitieux requiert notamment davantage de transparence, laquelle devrait prochainement s’imposer avec la mise en place d’un «Country-By-Country Reporting» (ci-après CBCR3) pour les groupes multinationaux dont le chiffre d’affaires annuel consolidé serait supérieur à 750 millions d’euros.
Cette nouvelle obligation déclarative a été votée dans la Loi de Finances pour 2016 ce 12 novembre et s’appliquera pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016. En conséquence, les groupes concernés devront communiquer dans les 12 mois de la clôture à l’administration fiscale française un document recensant, pour chaque pays d’implantation de leurs activités, le montant de leur chiffre d’affaires, du résultat avant impôt, de l’impôt sur les sociétés supporté ainsi que d’autres indicateurs économiques. Le défaut de production, dans le délai prescrit, de la déclaration entraîne l’application d’une amende qui ne peut excéder 100 000 euros.
Si la communication du CBCR tel qu’il a été voté devrait être limitée à la seule administration fiscale française ainsi qu’aux administrations fiscales des autres pays d’implantation, via les différents mécanismes d’échange de renseignements fiscaux, celle-ci pourrait, à terme, être étendue à d’autres acteurs voire devenir publique. Ainsi la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013, imposant aux établissements financiers la publication de certaines données, prévoit déjà une telle extension subordonnée à l’adoption d’une disposition communautaire en ce sens. Cette obligation est reprise dans le projet de révision de la directive droit des actionnaires adopté par le Parlement européen le 8 juillet 2015 et en cours d’examen dans le cadre du trilogue Parlement européen/Conseil de l’UE/Commission européenne. Un premier cycle de négociations interinstitutionnelles s’est tenu, mardi 27 octobre, au cours duquel les parties se sont mises d’accord pour entamer les négociations par trois réunions techniques.
Dès lors que la transparence fiscale semble devoir se généraliser, l’anticipation et la maîtrise de ce nouvel enjeu pourraient conduire les directions fiscales et financières des groupes concernés à utiliser la transparence comme vecteur de communication interne mais aussi externe. En effet, alors que le CBCR ne concerne pour l’instant que l’impôt sur les sociétés, les groupes français pourraient décider de l’étendre à d’autres impôts et taxes afin de disposer d’une vision complète de leur contribution fiscale et d’en faire un outil de communication fiscale auprès de leurs différents interlocuteurs internes (conseil d’administration, directions en charge de la communication financière, de la responsabilité sociétale des entreprises et du développement durable). Il pourrait en outre être utilisé pour la réalisation de différents benchmarks vis-à-vis des groupes concurrents, etc.
Ce nouvel outil pourrait également jouer un rôle dans la communication externe, notamment auprès des actionnaires ou de divers analystes par le biais de la communication d’un rapport ad hoc, ou encore dans le cadre de discussions entre les groupes et l’Etat, spécialement dans le cadre d’activités régulées ou de relations commerciales. Enfin, un tel CBCR «étendu» pourrait être utilisé à des fins de discussions avec le ministère des Finances quant à l’impact de la mise en place de nouvelles mesures fiscales.
Ainsi, afin d’en maîtriser les impacts, il semble essentiel que les groupes multinationaux engagent dès maintenant une réflexion sur les enjeux de leur transparence fiscale. Cela les conduira naturellement à adopter une stratégie de transparence cohérente avec les objectifs fixés par les textes mais aussi en phase avec les attentes des différents acteurs internes et externes de la vie économique des entreprises. Cette démarche positive permettra aux groupes multinationaux de gérer efficacement leur communication fiscale et de devenir de véritables acteurs d’une transparence fiscale, certes imposée mais non subie.
1- Accord européen pour l’échange automatique d’informations sur les accords fiscaux passés entre les Etats et les multinationales du 6 octobre 2015.
2- Adoption du BEPS par les ministres des Finances du G20 le 9 octobre 2015 à Lima.
3- Action n° 13 du BEPS.