Par Renaud Jouffroy, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Marie-Hélène Pinard-Fabro, avocat, PwC Société d’Avocats
Dans son rapport final de 2015 sur la communication obligatoire d’information (Action 12), l’OCDE, dans le cadre des travaux BEPS, soulignait l’intérêt pour les administrations fiscales d’obtenir en temps opportun des informations sur les stratégies utilisées par les contribuables quant à la mise en place de structures, dispositifs ou transactions de nature agressive ou abusive, notamment dans un contexte international. L’objectif est double : information et dissuasion. Information : il s’agit de connaître les failles des règles en vigueur le plus tôt possible afin de permettre au législateur de les combler au besoin. Dissuasion dans la mesure où les contribuables peuvent hésiter à mettre en place de telles stratégies dès lors qu’elles doivent être déclarées, au surplus dans un contexte où elles peuvent être promises à une courte durée de vie du fait du risque d’intervention du législateur.
Pour autant, ces règles doivent veiller à assurer un équilibre entre les avantages perçus pour les administrations d’une part et le coût de ces obligations pour les entreprises, le respect des droits de la défense des contribuables et celui du secret professionnel pour les «intermédiaires» sollicités dans cette communication d’autre part.
L’une des premières recommandations de l’OCDE était que les régimes devaient être «clairs et faciles à comprendre».
«L’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration» tel qu’il résulte de l’ordonnance n° 2019-1068 du 21 octobre 2019 transposant la directive «DAC 6» (directive 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018), lorsqu’il répondent à certaines caractéristiques (les «marqueurs»), vient de faire l’objet de premiers commentaires officiels dans un BOFIP mis en ligne et en consultation publique le 9 mars 2020.
Nous évoquerons ci-après les précisions intéressantes apportées par l’administration et un certain nombre de questions restant en suspens.
Notion de dispositif
La notion de dispositif est mal définie par la directive et l’ordonnance. Il faut donc saluer les clarifications de l’administration sur ce sujet. En phase avec les recommandations de l’OCDE, cette notion est entendue de manière large. Deux exemples de dispositifs sont présentés par le BOFIP :
• dispositif reposant sur une opération de financement ou refinancement intragroupe. Dans ce cas, le dispositif comprend les étapes suivantes :
– la transaction initiale qui permet d’injecter le nouveau capital (notamment apport en capital, prêt, etc.) dans le groupe,
– l’ensemble des étapes subséquentes,
– ainsi que les transactions intragroupes qui permettent de connaître et de comprendre l’utilisation de ce capital, notamment les transactions effectuées en vue ou en conséquence du financement ou refinancement ;
• dispositif reposant sur l’acquisition d’une nouvelle société ou groupe de sociétés. Dans ce cas, le dispositif inclut l’acquisition, le financement et toute restructuration antérieure ou postérieure à l’acquisition (notamment les scénarios possibles de sortie de la structure mise en place lorsque ceux-ci ont été définis).
En clair, chacune des étapes ci-dessus indiquée ne répondra pas, à elle seule, à la notion de dispositif. Ces précisions sont importantes pour deux raisons : elles permettent i) de fixer la date d’entrée en vigueur des obligations de déclarations des dispositifs et ii) de déterminer le périmètre des opérations aux bornes desquelles est apprécié la notion d’avantage fiscal principal.
Caractère transfrontière du dispositif
Un dispositif est transfrontière s’il concerne la France et un autre Etat (UE ou hors UE) et répond à une condition de résidence ou d’activité des participants (à ce dispositif) en France et dans un autre Etat.
Sont considérés comme des participants au dispositif : les intermédiaires, les contribuables concernés, les entreprises associées ainsi que toute autre personne ou entité susceptible d’être concernée par ce dispositif. Selon l’administration, le caractère transfrontière prend ainsi en compte la localisation des entreprises associées et des intermédiaires.
A titre d’exemple, constituent selon l’administration des dispositifs transfrontières :
– l’achat par une société établie en France de 50 % des actions d’une société établie en Finlande auprès d’une société française, car la société établie en Finlande est une entreprise associée (participation excédant 25 % des droits de vote, du capital ou des droits à bénéfices) et constitue donc un participant au dispositif dont le siège est situé hors de France. A contrario, la cession entre sociétés établies en France des titres d’une société étrangère détenue à moins de 25 % ne serait pas considérée comme une opération transfrontière ;
– la souscription d’un prêt par une société établie en France auprès d’une société établie en Allemagne.
Entrée en vigueur
Les dispositifs transfrontières dont la première étape a été mise en œuvre entre le 25 juin 2018 et le 1er juillet 2020 doivent être déclarés au plus tard le 31 août 2020.
Les dispositifs dont la première étape a été mise en œuvre avant le 25 juin 2018, quant à eux, ne doivent pas être déclarés, quand bien même leurs effets se produiraient après cette date. L’administration précise toutefois, légitimement à notre sens, dans une acception large du concept de dispositif, que toute modification apportée à ces dispositifs est déclarable si cette modification peut être qualifiée de dispositif transfrontière déclarable, et selon elle quand bien même ce changement aurait été anticipé et prévu dans les dispositions contractuelles du dispositif originel.
Impôts concernés
S’agissant des impôts concernés, il est précisé que les nouvelles dispositions ne s’appliquent pas à la TVA, aux droits de douane, aux droits d’accise, aux cotisations obligatoires et aux prélèvements sociaux.
Marqueurs répondant au critère de l’avantage principal
L’administration reporte à l’issue de la consultation publique la publication de ses commentaires concernant les marqueurs eux-mêmes.
Elle précise en revanche la notion d’avantage fiscal principal qui est un critère commun à 7 des 15 marqueurs, indiquant que cette notion doit s’apprécier au regard du dispositif pris dans son ensemble et en considérant les effets du dispositif dans tous les Etats, qu’ils soient dans l’Union européenne ou non. Répondrait ainsi à ce critère un prêt hybride donnant lieu à un paiement déductible (intérêt) conformément à la législation de l’Etat du payeur et non taxable (dividende) conformément à la législation de l’Etat du bénéficiaire alors même que cet avantage est obtenu conformément à la législation des deux Etats concernés.
Le fait qu’une personne ne recherche pas l’obtention d’un avantage fiscal principal (appréciation subjective) est estimé indifférent, seul importe le résultat (détermination objective). L’importance de l’avantage fiscal peut être déterminée en fonction de la valeur de l’avantage fiscal obtenu par rapport à la valeur des autres avantages retirés du dispositif. Plus clairement, le caractère principal résultera du fait que le dispositif n’aurait pas été élaboré de la même façon sans l’existence de cet avantage.
Pour éviter sans doute de recevoir des centaines de milliers de déclarations sans intérêt pour elle et pour soulager les contribuables, l’administration fiscale précise que ne répondra pas au critère de l’avantage fiscal principal un avantage obtenu en France par l’utilisation d’un dispositif d’incitation fiscale conforme à l’intention du législateur français, tels que la détention d’actifs financiers dans un PEA (sauf si les placements financiers concernés s’inscrivent dans un dispositif transfrontière plus large dont l’avantage fiscal retiré ne correspond pas à l’intention du législateur français). Pour autant, il faut préciser que cette appréciation ne préjuge en rien de la position que prendra l’autre Etat impliqué dans le dispositif transfrontière sur cet avantage.
Intermédiaire
L’administration précise qu’un intermédiaire peut être toute personne, professionnelle ou non. Peu importe que l’intermédiaire ait ou non la personnalité juridique ou qu’il soit ou non rémunéré. Il est par ailleurs indiqué que lorsqu’une personne physique est salariée d’une entreprise et agit au nom de cette entreprise, c’est l’entreprise qui est considérée comme intermédiaire.
Selon la terminologie employée par le BOFIP, l’intermédiaire peut être «concepteur» ou «prestataire de services».
Elle précise qu’un prestataire de services intervenant ou prenant connaissance d’un dispositif a posteriori n’est en principe pas considéré comme un intermédiaire. Ne sont donc en principe pas visés :
– un commissaire aux comptes, qui, lors de la réalisation de l’audit légal d’un des participants à un dispositif transfrontière déclarable, prendrait connaissance de celui-ci postérieurement à sa mise en œuvre ;
– une banque dépositaire accompagnant un contribuable dans ses démarches pour réclamer un trop-perçu de retenue à la source ;
– un conseil, différent du conseil à l’origine du dispositif, dont la mission consisterait uniquement à se prononcer sur le caractère déclarable ou non d’un dispositif.
Lorsque l’intermédiaire est soumis au secret professionnel (avocat, notaire, expert-comptable, certains établissements financiers, etc.), il ne peut souscrire sa déclaration qu’avec l’accord du contribuable concerné, conformément au nouvel art. 1649 AE du CGI, sans que l’on sache si cet accord doit être recherché et la manière dont il doit être formalisé (mandat ad hoc ?).
Pour illustrer l’application de cette disposition lorsque le secret professionnel s’applique entre deux intermédiaires, l’administration évoque le cas d’un intermédiaire prestataire de services engagé par un intermédiaire concepteur pour fournir un conseil sur un dispositif. Elle indique que dans ce cas, la déclaration de l’intermédiaire prestataire de services soumis au secret professionnel n’est souscrite qu’avec l’accord de… son client, qui est l’intermédiaire concepteur. Cette précision pose la question de savoir si le simple intermédiaire, qui ne met pas en jeu ses bases fiscales, peut avoir la qualité de contribuable de manière générale ou seulement quand il n’agit pas lui-même pour un contribuable, réel utilisateur ou partie au dispositif.
Lorsqu’il ne souscrit pas la déclaration faute d’accord du contribuable concerné, l’intermédiaire soumis au secret professionnel doit notifier l’obligation aux personnes à qui elle incombe et dont il a connaissance, qu’il s’agisse d’un autre intermédiaire (s’il existe) ou du contribuable concerné, et dans ce dernier cas cette notification est accompagnée de toute information dont il a connaissance, permettant de souscrire la déclaration.
Contribuable concerné
Le contribuable concerné est l’utilisateur ou est partie au dispositif transfrontière déclarable.
L’administration précise que dans un groupe, la société qui conçoit un dispositif déclarable utilisé par d’autres sociétés du groupe est considérée comme un intermédiaire concepteur. Une même société peut être qualifiée à la fois d’intermédiaire concepteur et de contribuable concerné si elle-même utilise également le dispositif.
Autres précisions
D’autres précisions du BOFIP en consultation publique concernent enfin les délais et le contenu de la déclaration. Cette dernière entraînera l’attribution d’une «Référence dispositif» attachée à chaque dispositif déclaré et devant être rappelée par la suite par toute autre personne souscrivant une déclaration relative au même dispositif du fait de sa participation à ce dispositif.
Enfin la seconde partie des commentaires de l’administration fiscale sur les marqueurs est attendue avec impatience par tous les professionnels car les questions d’interprétation à résoudre sont nombreuses, dans un délai désormais très réduit.