Par Loïc Le Claire, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Guilhem Calzas, avocat, PwC Société d’Avocats
La loi de finances pour 2020 a abrogé l’ancien dispositif dit «anti-hybrides» codifié à l’article
212-I-b du Code général des impôts en considérant que cette suppression s’imposait non seulement au regard des nouvelles exigences des directives ATAD mais également dans la mesure où ce dispositif était susceptible d’être regardé comme une restriction prohibée aux libertés de circulation européennes.
A l’instar de plusieurs dispositifs français, tels que la taxe de 3 % sur les dividendes, récemment reconnus contraires au droit de l’Union européenne, l’article 212-I-b pourrait ainsi donner lieu au dépôt de réclamations contentieuses par les entreprises ayant été soumises à ce dispositif.
Pour rappel, l’article 212-I-b interdisait la déduction fiscale de charges financières par les entreprises établies en France lorsque l’entreprise liée (établie ou non en France) ayant prêté les sommes n’était pas soumise, sur les intérêts correspondants, à une imposition dont le montant était au moins égal au quart de l’impôt français déterminé dans les conditions de droit commun.
Un dispositif critiqué dès son adoption au titre de la prohibition des discriminations indirectes
Dès l’adoption de l’article 212-I-b, des doutes sur sa compatibilité au droit de l’Union européenne avaient été soulevés1. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne sanctionne non seulement les textes qui opèrent des discriminations directes entre les entreprises selon le lieu de leur siège social, mais également les textes qui sont a priori d’application générale mais qui, de facto, opèrent une discrimination entre opérations internes et opérations transfrontalières. La Cour, en grande chambre, a ainsi jugé qu’une législation qui malgré le choix de critères d’application apparemment objectifs défavorise «dans la plupart des cas» les groupes étrangers constitue une discrimination indirecte prohibée2.
L’article 212-I-b opérait effectivement une discrimination de fait
En apparence, la limitation des charges déductibles instaurée par l’article 212-I-b s’appliquait à toutes les situations de prêt intragroupe et aucune distinction n’était opérée entre les intérêts versés à des prêteurs établis en France et ceux versés à des prêteurs établis à l’étranger. Le projet de loi rappelait ainsi la volonté du législateur d’adopter un texte non discriminatoire et conforme au droit de l’Union européenne. Les travaux parlementaires énonçaient à cet égard que le dispositif instaurait une «totale égalité de traitement entre une situation interne et une situation transfrontalière»3.
En pratique toutefois, l’article 212-I-b n’avait vocation à s’appliquer qu’à des situations transfrontalières dans lesquelles le prêteur des fonds était établi hors de France. En effet, les situations dans lesquelles un prêteur établi en France n’était pas imposé dans les conditions de droit commun sur les intérêts perçus étaient très limitées. Le rapport sur les évaluations préalables du projet de loi de finances pour 2014 visait la situation dans laquelle «l’entreprise prêteuse bénéficie d’un régime d’exonération (régime zoné, ZFU, ZRR…, régime des jeunes entreprises innovantes, des entreprises nouvelles)»4.
Or, les jeunes entreprises innovantes et les entreprises nouvelles ne disposent généralement pas de trésorerie à placer et, en tout état de cause, sont imposées dans les conditions de droit commun lorsque le montant des produits financiers qu’elles perçoivent excède celui des charges financières qu’elles supportent. En outre, les aides fiscales accordées aux entreprises placées sous ces régimes d’exonération ne peuvent excéder le plafond des aides «de minimis» fixé par la Commission européenne. La volonté du législateur de viser, dans les faits, les seules situations internationales ressortait également des exemples d’application discutés lors des débats parlementaires, qui concernaient exclusivement des situations transfrontalières.
Il apparaît que l’extension du champ d’application du dispositif à des prêteurs bénéficiant des quelques régimes dérogatoires décrits ci-dessus constituait une tentative de rendre compatible, en apparence seulement, l’article 212-I-b avec le droit de l’Union européenne. Il résulte de ce qui précède que l’article 212-I-b, malgré le choix de critères d’application apparemment objectifs, défavorisait dans la plupart des cas les opérations de prêt transfrontalières, seules concernées par la limitation des charges financières, par rapport à des situations purement internes, et constituait ainsi une discrimination indirecte au sens de la jurisprudence de la Cour.
Cette discrimination n’était justifiée par aucun motif d’intérêt général
Les dispositifs qui instaurent des différences de traitement entre situations internes et situations transfrontalières sont en principe contraires aux libertés fondamentales de l’Union européenne, sauf si ces différences se trouvent justifiées par un motif impérieux d’intérêt général.
Parmi les motifs impérieux d’intérêt général reconnus par la Cour de justice, le seul susceptible de justifier la restriction opérée par l’article 212-I-b consistait en la lutte contre les montages purement artificiels dont le but est de contourner la législation fiscale nationale5. La jurisprudence de la Cour énonce à cet égard que la lutte contre de tels montages doit être l’objet spécifique de la législation en cause6.
Au cas particulier, il ressort des débats parlementaires que l’objectif de l’article 212-I-b était de lutter contre l’optimisation fiscale au titre des hybrides et l’endettement artificiel, en se fondant sur un critère d’imposition minimale du prêteur. Le législateur, qui n’a pas souhaité insérer une clause de sauvegarde qui aurait limité l’application du texte aux opérations dépourvues de réalité économique7, visait au travers de l’article 212-I-b des situations pouvant être exclusives de tout montage purement artificiel. Le dispositif pouvait en effet s’appliquer à des opérations de financement intragroupe ne répondant à aucun objectif d’optimisation fiscale ou d’endettement artificiel. En conséquence, la discrimination indirecte instaurée par l’article 212-I-b n’apparaît pas justifiée par la lutte contre les montages purement artificiels dont le but est de contourner la législation fiscale nationale.
Les entreprises devraient étudier l’opportunité de contester la non-déductibilité des intérêts correspondants
Comme indiqué en introduction, l’exposé des motifs de l’article 13 du projet de loi de finances pour 2020, qui a abrogé l’article 212-I-b énonce expressément que «cette disposition est, du fait de ses modalités d’application, susceptible d’être regardée comme une restriction disproportionnée aux libertés de circulation européennes».
L’aveu d’incompatibilité au droit de l’Union européenne formulé par le législateur conforte l’analyse exposée ci-dessus et les entreprises concernées peuvent donc étudier l’opportunité de contester la non-déductibilité des intérêts résultant de l’application de l’ancien dispositif anti-hybrides et, le cas échéant, de déposer des réclamations contentieuses dans les délais de prescription afin de solliciter rétroactivement la déduction des charges financières réintégrées à tort.
1. Renaud Jouffroy et Emmanuel Raingeard, Les nouvelles règles anti-hybrides promises à une courte expérience au sein de l’UE, Option Finance, La lettre de gestion des groupes internationaux, 7 avril 2014.
Voir également, Margot Janot, Le projet BEPS et la lutte contre la sous-capitalisation, sous la direction d’Alexandre Maitrot de la Motte, Revue de droit fiscal n° 5, 2016, étude 139.
2. CJUE, gde ch., 5 février 2014, aff. C-385/12, Hervis Sport.
3. Rapport sur les évaluations préalables du projet de loi de finances pour 2014, page 104.
4. Ibid. page 102.