Chaque année, des membres de directions financières d’entreprises privées font le choix d’intégrer le secteur public. Facilité par une loi récente, ce choix de carrière leur offre plusieurs avantages, notamment en matière de perspectives d’évolution.
Il y a quelques jours, Emmanuel Millard prenait la tête de l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion. A la différence de ses prédécesseurs, le nouveau président de la DFCG présente la particularité d’évoluer dans le secteur public. Après douze années passées dans le privé (Arthur Andersen, Dexia, GE Capital, JP Morgan et BMCE Banque), il a réalisé la bascule dès 2003. Il est aujourd’hui directeur général adjoint en charge des fonctions supports et des finances de Coallia, association française fondée en 1962 qui propose des solutions d’hébergement et un accompagnement social aux migrants. « Mon parcours est la preuve qu’il est tout à fait possible de passer du privé au public, insiste-t-il. Je pense qu’il est urgent de cesser d’opposer public et privé. Bien souvent, dans l’imaginaire collectif, les meilleurs éléments rejoignent le privé et c’est tout à fait faux ! Il existe des DAF chevronnés qui font le choix de faire carrière dans le public. » Même s’il n’existe aucune statistique dans ce domaine, le cas d’Emmanuel Millard est en effet loin d’être isolé. Au cours des derniers mois, plusieurs grands établissements publics, parmi lesquels l’Institut de géographie nationale (IGN) le Centre national d’études spatiales (CNES), ont ainsi fait appel à des directeurs administratifs et financiers qui, jusqu’alors, évoluaient dans le privé.
Des fonctions en apparence similaires
De l’avis des intéressés, il ne s’agit pas véritablement d’un saut dans l’inconnu. Car si l’on s’en tient strictement aux compétences, les différences entre les missions confiées sont minimes : définir un budget, contrôler et piloter les coûts sont des prérogatives qui incombent à tout directeur financier ou contrôleur de gestion, qu’il exerce dans le public ou dans le privé. « Pour autant, choisir d’exercer sa profession dans le public ou le privé n’est pas anodin pour un directeur financier », reconnaît Philippe Baron, vice-président du groupe Services publics de la DFCG. De fait, les spécificités de fonctionnement des entreprises publiques sont nombreuses. Tout d’abord, dans le public, les directions financières ne sont jamais en charge du haut de bilan, en ce sens qu’elles ne réalisent ni fusion-acquisition, ni, sauf cas limités, placements sur les marchés financiers. Autre différence de taille : une préoccupation moindre du résultat économique. « Il faut bien avoir à l’esprit qu’au sein des entreprises publiques, les “livrables” sont rarement quantifiables, précise Philippe Baron. Il est ainsi beaucoup plus difficile de quantifier et d’objectiver la valeur ajoutée. »
Enfin, la culture au sein des entreprises publiques peut être radicalement opposée à celle des entreprises privées. En ce sens, la DFCG recommande de passer par un sas de transition permettant d’opérer un passage en douceur du privé vers le public : « Il peut arriver qu’en rejoignant le secteur public, un contrôleur de gestion ait du mal à comprendre la logique qui anime le décideur public, poursuit Philippe Baron. C’est la raison pour laquelle nous proposons des sessions de formation de deux jours (voir encadré). » Entre les deux types d’entreprises, c’est souvent le pilotage de la performance et la mesure de la rentabilité qui diffèrent.
Les professionnels du privé très recherchés
Ce constat tend toutefois à évoluer progressivement depuis la mise en place, en 2001, de la loi organique relative aux lois de finances, dite « LOLF ». Cette dernière a en effet introduit un modèle managérial, inspiré du monde de l’entreprise privée, de gestion par la performance. « Chaque politique publique se voit allouer des crédits, mais également des objectifs assortis d’indicateurs pour en évaluer la réalisation. La budgétisation par programme est désormais tournée vers les résultats de l’action publique et non vers les moyens matériels et humains qu’elle met en œuvre », est-il ainsi indiqué dans la neuvième édition de l’ouvrage « Les Finances publiques », à la Documentation française. En clair, les ressources sont désormais assorties d’objectifs chiffrés, dont l’avancée est régulièrement mesurée et évaluée.
Il aura néanmoins fallu attendre 2019 et la loi de transformation de la fonction publique du 6 août pour que ce changement profond de paradigme soit suivi d’effets en termes de recrutements. Celle-ci facilite en effet les embauches hors concours à des postes d’encadrement. Dès lors, de plus en plus de cadres supérieurs rejoignent la fonction publique pour des contrats d’une durée de trois ans, renouvelables. A l’issue de ce premier contrat, les collaborateurs peuvent choisir de poursuivre dans le public ou de retourner dans le privé. Un cadre flexible qu’Emmanuel Millard entend bien promouvoir. « En qualité de président de la DFCG, je souhaite faire en sorte que les mondes du public et du privé se connaissent davantage et qu’ils interagissent. » Pour ce faire, le nouveau président compte par exemple multiplier les rencontres entre directeurs financiers du public et du privé dans les prochains mois.
- Depuis quelques années, la DFCG propose une formation intitulée « Développer un contrôle de gestion adapté aux besoins du secteur public ». Celle-ci est née de la volonté commune de Philippe Baron, expert-comptable et directeur des activités de conseils services publics chez Emerson Audit et Conseil, et d’Emmanuel Millard, directeur général adjoint du groupe Coallia, de rendre les frontières entre le secteur privé et le secteur public plus poreuses.
- D’une durée de deux jours, cette formation est l’occasion pour les participants d’apprendre à maîtriser les outils et les méthodes du contrôle budgétaire et du contrôle de gestion, mais également de revenir sur les spécificités du pilotage de la performance au sein des établissements publics. La prochaine session se tiendra les 3 et 4 février 2021 en distanciel.
Un attrait renforcé chez les moins de 35 ans
Au sein des grands groupes, de plus en plus d’experts de la finance se disent aujourd’hui tentés par une expérience en secteur public. « Après cinq années au sein d’un grand groupe agroalimentaire, j’ai envie de travailler sur d’autres sujets, davantage porteurs de sens. Aujourd’hui, je concentre mes recherches d’emploi sur les établissements publics et finalement, le salaire proposé n’était pas si éloigné du mien », confie un contrôleur de gestion en passe de changer d’emploi. Le plus souvent, de telles aspirations se retrouvent chez des profils relativement juniors, généralement âgés de moins de 35 ans. « Bien souvent, les changements vers le secteur public se font en début de carrière au moment où les salaires ne sont pas encore trop élevés », justifie Philippe Baron. Selon lui, « il sera en revanche très difficile pour une entreprise publique d’attirer à elle un directeur administratif et financier en poste au sein d’un groupe coté ».
En début de carrière, le différentiel entre public et privé est en effet quasi neutre, de nombreux établissements publics offrant des niveaux de salaires annuels compris entre 25 000 euros et 35 000 euros, soit une fourchette assez similaire à celle constatée en début de carrière dans le privé. C’est plus tard que l’écart se creuse. « Il peut exister un effet ciseau qui fait que, passé un certain niveau, le salaire d’un DAF ou d’un contrôleur de gestion peut progresser beaucoup plus vite dans le privé que dans le public », confirme Emmanuel Millard. Néanmoins, pour les candidats séduits à l’idée d’un départ dans le secteur public, d’autres avantages entrent souvent en considération. D’abord, les perspectives d’évolution en interne permettent aux plus motivés d’atteindre rapidement des postes d’encadrement. A cela s’ajoutent la stabilité de l’emploi et la possibilité d’évoluer vers d’autres établissements publics. Enfin, beaucoup mentionnent le cadre de travail, considéré comme étant générateur de moins de stress que dans le privé.