Le bouleversement climatique induit une augmentation des contentieux dédiés dirigés contre les entreprises et les Etats. Face à ce constat, la responsabilité des gouvernements et des sociétés est plus que jamais un enjeu.
INTERVENANTS
Louis DEGOS, associé gérant, K&L GATES
Christophe GEIGER, general counsel, ORANO NPS
Gabriel TOUCHARD, responsable juridique, ENGIE
Modération : Fabrice PICOD, professeur des universités, UNIVERSITE PARIS PANTHEON ASSAS
Le récent rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) est formel : le nombre total d’affaires judiciaires liées au changement climatique a plus que doublé depuis 2017. De plus en plus, on voit apparaître notamment des recours formés contre les entreprises mais aussi contre les Etats et les autorités publiques. Christoph Geiger, general counsel chez Orano NPS, note trois axes principaux liés à la gouvernance, aux consommateurs et aux investisseurs. « Le devoir de vigilance oblige notamment à mettre en place une cartographie des risques liés à l’environnement, à la santé et aux droits humains, explique-t-il. Il existe cependant des risques contentieux avec ce devoir de vigilance, parmi lesquels l’aspect délictuel qui subsiste en France. Tout cela inquiète les dirigeants d’entreprises. »
Combats citoyens
Il faut dire que l’année 2023 s’est achevée avec une hausse de la température de +1,45° par rapport à l’ère préindustrielle. Un record absolu. « Face à ce constat fondamentalement inquiétant s’organise une forme de combat juridictionnel contre l’inertie de nos systèmes, commente Gabriel Touchard, responsable juridique chez Engie. Or, il est difficile d’obtenir des objectifs globaux au niveau international car il existe trop de divergences entre les Etats, notamment ceux directement impactés par l’augmentation du niveau des mers et les “pétro-Etats” qui vivent du fossile. » Par conséquent, une résistance citoyenne s’opère pour contraindre les Etats à respecter les engagements qu’ils ont souscrits ou à accélérer ces engagements afin de diminuer leurs émissions de CO2. En 2023, près de 2 500 recours contentieux citoyens ont été formés contre des entités étatiques ou publiques dans cette optique. En témoignent notamment en France l’affaire « Grande-Synthe » ou encore l’Affaire du Siècle, initiée en 2018 par quatre associations (Notre Affaire à Tous, Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France et Oxfam France) afin de poursuivre l’Etat en justice pour inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
L’arbitrage : une solution ?
De plus en plus, les Etats se retrouvent donc entre le marteau et l’enclume, devant à la fois respecter leurs obligations économiques et écologiques. « Nous commençons à voir apparaître une dichotomie entre ce que veut le citoyen et ce que peuvent ou devraient faire les Etats. Il faut en sortir », souligne Louis Degos, associé gérant de K&L Gates. L’arbitrage peut être une manière efficace de traiter les contentieux liés au climat, mais il est actuellement pointé du doigt. « Il existe un fantasme selon lequel recourir à l’arbitrage est synonyme pour les Etats d’un abandon de souveraineté, explique l’avocat. Or, des jurisprudences démontrent que des Etats ont déjà pu faire valoir leurs droits devant l’arbitre. » En témoignent des affaires équatoriales telles que Burlington contre Equateur en 2017, au terme de laquelle l’Equateur s’est vu accorder 41 millions de dollars au titre de la demande reconventionnelle introduite à l’encontre de la société américaine de pétrole et de gaz Burlington Resources. Autre exemple, l’affaire argentine Urbaser en 2016, fondée ici sur les droits humains. « Le tribunal a accepté la recevabilité de la défense et de la demande reconventionnelle de l’Argentine », explique Louis Degos avant de conclure : « Il appartient aux Etats de faire un peu de droit lorsqu’ils se défendent dans des arbitrages car, finalement, tous ces traités sont des traités d’investissement ou environnementaux dans lesquels ils sont parties prenantes. »
«Nous commençons à voir apparaître une dichotomie entre ce que veut le citoyen et ce que peuvent ou devraient faire les Etats. Il faut en sortir.»