Les spécialistes observent actuellement une pénalisation croissante du droit de la concurrence, notamment depuis la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen. Quelles en sont les conséquences pour les entreprises et les dirigeants ?
INTERVENANTS
Fabienne SIREDEY-GARNIER, vice-présidente, AUTORITE DE LA CONCURRENCE
Gabriel LLUCH, general counsel competition and regulation, ORANGE
David LEGRAND, directeur juridique, SPIE BATIGNOLLES
Pascale DECHAMPS, partner, ACCURACY
Adrien GIRAUD, associé Antitrust & Competition, LATHAM & WATKINS
Modération : Emmanuelle CLAUDEL, professeur de droit privé, UNIVERSITE PARIS 2 PANTHEON ASSAS
Alors que, jusqu’à récemment, les poursuites pénales étaient l’apanage du juge, la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a également donné au Parquet national financier (PNF) une compétence concurrente à celle des juridictions pénales pour appliquer l’article L. 420-6 du Code de commerce. Dans le dernier rapport du PNF, il a ainsi été fait état de 16 procédures pénales en cours pour pratiques anticoncurrentielles. Couplée à l’usage de l’article 40 du Code de procédure pénale, cette nouvelle compétence a donné lieu à de nombreux commentaires évoquant une résurrection du droit pénal en droit de la concurrence. Or, pour les droits de la défense, il existe des différences très claires entre une procédure administrative classique et la procédure pénale, liées notamment à l’autorisation de la perquisition, au droit de recours ou encore à la présence de l’avocat. « Les droits de la défense sont déterminés en fonction de l’enjeu pour la société de permettre une répression effective, indique Adrien Giraud, associé en concurrence chez Latham et Watkins. Plus l’enjeu collectif et une répression effective seront importants, plus on pourra justifier un certain empiétement sur des droits de défense classiques. »
«Les droits de la défense sont déterminés en fonction de l’enjeu pour la société de permettre une répression effective»
Procédure de clémence
Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente de l’Autorité de la concurrence, s’en réjouit : « Le caractère protecteur des opérations de visites et de saisies de l’Autorité de la concurrence n’a jamais autant été vanté que depuis qu’il y a eu quelques perquisitions pénales », sourit-elle. Quant à la rumeur selon laquelle l’utilisation de la procédure pénale viendrait vider de leur substance les procédures de clémence ou aurait un effet dissuasif au niveau pénal et civil, la vice-présidente la balaye. « En termes purement quantitatifs, nous n’avons pas perçu cet effet dissuasif, assure-t-elle. La vraie question pour les demandeurs de clémence, au-delà des conséquences pénales, c’est celle des dommages et intérêts. » Au sein des entreprises, qu’en est-il de l’impact de la pénalisation sur les programmes de conformité ? « Le choix à faire en interne est soit de respecter le programme de compliance de son groupe, soit de mettre en œuvre une pratique illicite permettant d’obtenir un profit plus élevé pendant un certain temps », détaille Pascale Déchamps, associée chez Accuracy. « L’articulation entre les programmes de clémence et le renforcement du mécanisme des lanceurs d’alerte est intéressante en termes de capacité de détection des pratiques anticoncurrentielles par les autorités », affirme Pascale Déchamps.
«L’articulation entre les programmes de clémence et le renforcement du mécanisme des lanceurs d’alerte est intéressante en termes de capacité de détection des pratiques anticoncurrentielles par les autorités.»
Risques et sensibilisation
Pour David Legrand, directeur juridique de Spie Batignolles, l’idée même d’une répression pénale doit conduire à l’intégration de ces risques dans la cartographie des entreprises. « Les risques par ricochet, comme ceux relatifs à la réputation et l’atteinte au business, ne sont pas négligeables pour une entreprise, met-il en garde. C’est pourquoi il nous faut considérer les agissements anticoncurrentiels comme de véritables risques potentiellement pénaux. » Pour y parvenir, la sensibilisation en interne est de mise. « Nous devons tous travailler à des programmes de conformité robustes afin de nous prémunir de toute situation ambiguë », poursuit David Legrand. Par ailleurs, la question du legal privilege revient également sur le devant de la scène. « Ce débat ne va-t-il pas encourager l’utilisation du pénal pour contourner le legal privilege ? » Pour Gabriel Lluch, general counsel Competition & Regulation chez Orange, la question se pose. « Il est important de faire preuve de pédagogie au sein de l’entreprise et de dire au salarié qu’il a fait une faute. Si l’on sort des débats passionnels, le legal privilege devrait permettre de le faire », conclut-il.