Outil encore assez méconnu pour préserver les liquidités des entreprises, le financement des contentieux par un tiers offre pourtant de multiples avantages, malgré quelques interrogations qui subsistent.
INTERVENANTS
Paul DE SERVIGNY, investment manager – Litigation France, IVO CAPITAL PARTNERS
Dara AKCHOTI, directeur juridique - contrats, EDENRED
Karine TOLLEMER, secrétaire générale, CERCLE MONTESQUIEU
Modération : Yves NOUVEL, professeur de droit public, UNIVERSITE PARIS 2 PANTHEON-ASSAS
Préserver sa trésorerie est plus que jamais un enjeu pour les entreprises. Arrivé du monde anglo-saxon en France vers le début des années 2010, le tiers financement commence ainsi peu à peu à se frayer un chemin pour financer les contentieux. Le but ? S’adosser à un tiers – souvent un grand fonds d’investissement ou un fonds de financement de taille plus intermédiaire – pour financer les frais liés à une procédure identifiée. « En revanche, tous les contentieux ne sont pas finançables », précise Paul de Servigny, investment manager au sein de la société de gestion française IVO Capital Partners. « Il faut qu’il y ait des enjeux suffisamment élevés pour justifier notre présence, car la rémunération est ensuite calculée en fonction du résultat final. » Les procédures les plus onéreuses, comme l’arbitrage ou les actions collectives, sont donc les plus adaptées à cet outil.
«Tous les contentieux ne sont pas finançables. Il faut qu’il y ait des enjeux suffisamment élevés pour justifier notre présence, car la rémunération est ensuite calculée en fonction du résultat final.»
Maîtrise des coûts
Concernant la rémunération d’un tiers financeur, le marché est assez homogène. « En général, c’est un multiple du montant financé ou un pourcentage du montant total de dommages et intérêts, qui évolue en fonction du temps et qui est négocié en amont, explique Paul de Servigny. Le but d’un tiers financeur comme nous, pour se différencier des fonds “vautours”, c’est de rester sur un maximum de 30 % des dommages et intérêts récupérés. » L’intérêt principal d’avoir recours au tiers financement pour une entreprise repose indéniablement sur le fait de pouvoir maîtriser ses coûts et de préserver sa liquidité. « En matière financière, le cash est l’indicateur clé d’une bonne gestion des entreprises, rappelle Dara Akchoti, directeur juridique-contrats Edenred. L’argent qui va aller dans des frais de contentieux ne pourra pas se porter sur d’autres investissements. Le principal atout du tiers financement, c’est donc de transmettre cette charge financière à un tiers. » Ce procédé soulève toutefois quelques questions d’ordre déontologique ; ainsi, l’Ordre des avocats de Paris a mis en place un groupe de travail dédié qui a rendu en 2017 une résolution insistant sur le fait que les obligations déontologiques de l’avocat étaient envers son client, à savoir la partie financée, et non envers le tiers financeur.
Interrogations
Karine Tollemer, directrice juridique et secrétaire générale du Cercle Montesquieu, a eu l’occasion de pratiquer le tiers financement dans le cadre d’une action collective. « Ce type de montages permet d’avoir un avocat qui va gérer l’ensemble de la procédure, mais avec l’appui d’un tiers financeur. Pour une entreprise, c’est un vrai confort. » Pour elle, une interrogation sur la nature de ce financement subsiste néanmoins. « Il faudrait que l’on parvienne à savoir ce qu’il en est : est-ce un prêt ? De la dette ? Un investissement ? C’est assez flou, déplore-t-elle. Il serait intéressant d’avoir de la doctrine à ce sujet, et que des avocats spécialisés en financement s’intéressent à la question. » Dara Akchoti l’atteste : il ne faut pas perdre de vue les contraintes liées au tiers financement. « Lorsque l’on met en place ce type de montages, nous avons moins les coudées franches dans la gestion du litige, souligne-t-il. Cela suppose en amont une vraie pédagogie afin que tout le monde comprenne bien le mécanisme dans lequel on s’est engagé. »