On suppose qu’un tel transfert n’entraînerait pas de rupture de la personnalité morale. Prenons l’exemple d’une société située dans un Etat de l’Union européenne qui détient un immeuble en France et dont le siège y est transféré. Par hypothèse, la société n’a pas d’établissement stable en France. La réponse diffère selon que cette société relevait ou non de l’impôt sur les sociétés (IS) en France avant ce transfert.
Par Julien Saïac, avocat associé en fiscalité internationale.
La société ne relève pas de l’IS avant le transfert
Ce cas est d’un intérêt largement historique, dans la mesure où seule la convention franco-luxembourgeoise, dans sa version applicable avant le 1er janvier 2008, et la convention franco-danoise, avant qu’elle soit dénoncée par le Danemark, permettaient à une société locale d’éviter d’être soumise à l’IS sur ses plus-values immobilières en France. A l’heure actuelle, la même analyse ne semble plus possible que dans le cadre de la convention fiscale franco-libanaise. Dans ce cas de figure, il y avait lieu selon nous de réévaluer la valeur des immeubles détenus par la société étrangère à la valeur vénale au jour du transfert de résidence en France. Cette position s’appuie sur la jurisprudence du Conseil d’Etat qui a confirmé à plusieurs reprises qu’en cas de changement de régime fiscal d’une société, les immobilisations doivent être inscrites au bilan d’ouverture du premier exercice faisant suite à ce changement de régime fiscal pour leur valeur vénale (arrêts des 6 décembre 1961, 10 juillet 2007 et 31 juillet 2009).
Or, il n’y a pas de différence notable entre une société française qui change de régime fiscal parce que la loi française a évolué et une société étrangère qui devient imposable en France du fait de la modification d’une convention fiscale.
Cette position est néanmoins clairement contraire à celle retenue par l’Administration dans sa doctrine, qui indique que les plus-values de cession des immeubles situés en France, détenus par les entreprises luxembourgeoises, sont déterminées dans les conditions de droit commun par différence entre le prix de cession des immeubles et leur valeur nette fiscale, correspondant à leur valeur d’origine minorée des amortissements qui auraient dû être constatés, en application des dispositions de l’article 39 du Code général des impôts, depuis leur date d’acquisition.
La société relève de l’IS avant le transfert
En l’absence de changement de régime fiscal, il n’y aurait pas normalement de réévaluation à effectuer. Notons toutefois que la doctrine de l’Administration sur les transferts de siège précise que lorsque le transfert a lieu depuis un Etat de l’UE vers la France, afin de ne pas soumettre à l’impôt une plus-value qui aurait déjà été imposée par l’autre Etat, il y a lieu d’inscrire les éléments de l’actif immobilisé transférés au bilan d’une société française pour leur valeur réelle à la date du transfert. Cette valeur réelle sera retenue pour le calcul des plus ou moins-values ultérieures imposables en France ainsi que pour le calcul des amortissements s’il s’agit d’un bien amortissable. Qu’en conclure pour une société de l’UE qui détiendrait un bien immobilier en France ? Appliquée à la lettre, la doctrine précitée pourrait jouer dans le cas, non théorique, où le transfert de siège vers la France justifierait l’imposition de la société dans son Etat d’origine sur les plus-values latentes afférentes à un immeuble situé en France.
Les règles conventionnelles ne paraissent pas s’opposer à cette imposition dans l’Etat d’origine, celui-ci devant cependant généralement accorder un crédit d’impôt correspondant à l’impôt français sur la plus-value (crédit d’impôt égal à zéro si la France n’impose pas au titre de l’année du transfert). Il est toutefois probable que le cas des actifs immobiliers n’ait pas été visé par la tolérance visée ci-dessus dans la mesure où, dans la situation inverse d’un transfert de siège vers l’étranger, l’Administration accepte de reporter l’imposition des plus-values au moment de la cession de l’immeuble.