A l’inverse d’autres Etats de l’Union européenne tels que l’Allemagne et le Royaume-Uni, la France impose aux intermédiaires du secteur immobilier une vigilance sur les preneurs et bailleurs d’une transaction locative.
Par Alexandre Marion, avocat en droit bancaire et financier. Il conseille notamment des entreprises commerciales et industrielles ou des sociétés de gestion dans les aspects réglementaires de la structuration de fonds immobiliers. alexandre.marion@cms-bfl.com
Issue de la récente ordonnance du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, cette obligation illustre un nouveau cadre législatif obérant la compétitivité des personnes concernées, qui devront intégrer dans leurs charges le coût de cette vigilance spécifiquement française.
Les assujettis à cette vigilance sont les personnes agissant au titre de la loi Hoguet (n° 70-9) pour leur activité de «location ou sous-location, saisonnière ou non, en nu ou en meublé d’immeubles bâtis ou non bâtis», à l’exclusion de la «gestion immobilière». A travers cette exclusion, il faut comprendre que l’Administration attend de l’assujetti qu’il vérifie en amont de la signature du bail que la transaction ne révèle pas un blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme. Autrement dit, l’intermédiaire en charge de la gestion locative n’apparaît tenu à aucune vigilance après la signature du bail.
Au-delà de cette distinction qui interroge sur l’efficacité du dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, un décret doit prochainement préciser les conditions pratiques de la vigilance, en ce compris sur les transactions locatives.
Si pour les baux d’habitation, la vigilance des intermédiaires sur les preneurs pourra s’appuyer sur les «pièces justificatives pouvant être demandées au candidat à la location» au titre d’un décret existant (n° 2015-1437), on espère que le nouveau décret clarifiera les incertitudes concernant les situations de transactions locatives atypiques, comme celles consenties à titre accessoire, les relocations, les renouvellements de baux ou encore les sous-locations. Ce dernier point est particulièrement critique pour certaines sociétés de gestion dont les clients propriétaires consentent parfois un bail à un exploitant, lequel sous-loue à des particuliers (cf. la pratique de la gestion des résidences d’étudiants ou de seniors).
L’enjeu de précision est ainsi fort pour les sociétés de gestion qui acquièrent des parcs immobiliers (occupés ou non) pour le compte de leurs clients ou de fonds immobiliers qu’elles gèrent. Les questions qui se posent à elles sont nombreuses, en ce compris leur capacité à :
– mettre fin à certains types de baux face à des locataires non coopératifs ;
– bénéficier de la dispense de vigilance sur les transactions intérieures à 15 000 euros ou à appliquer une approche risque qui dépend du montant du bail ;
– obtenir les données d’identification des locataires à l’occasion d’une acquisition d’un parc immobilier ; ou
– externaliser leur prestation d’identification (cette dernière apparaît aujourd’hui proscrite par l’Autorité des marchés financiers).
Plus globalement, on comprendrait mal que le décret conduise les sociétés de gestion à une vigilance continue des occupants des parcs immobiliers gérés, alors que le législateur a très expressément exclu la «gestion immobilière» de la vigilance contre le blanchiment/financement du terrorisme.
Au-delà, on peut s’interroger sur la pertinence de la position française concernant la vigilance sur les transactions locatives alors que de nombreuses situations échappent à toute vigilance, c’est-à-dire à chaque fois qu’il n’y a aucune intermédiation (locations entre particuliers, marchands de biens, secteur HLM). Qu’est-ce qui justifie que Big Brother s’intéresse aux seules situations impliquant des intermédiaires et pas aux autres ?