C’est une politique des petits pas qui dessine le cadre juridique de la connaissance par les consommateurs précaires de leurs consommations d’énergie.
Par Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat counsel en droit de l’énergie. Elle accompagne les opérateurs économiques (industriels, établissements bancaires et financiers, opérateurs publics) dans leurs projets dans le secteur de l’énergie (conseil règlementaire, négociation contractuelle, contentieux).
aurore-emmanuelle.rubio@cms-fl.com
Une réflexion récurrente en matière de rénovation énergétique du bâti et de maîtrise de la demande d’énergie qui va avec le déploiement des nouveaux compteurs d’énergie amène à se demander si l’amélioration de l’information sur les données de consommation d’énergie encourage le consommateur, désormais « consom’acteur » à mieux et moins consommer d’énergie.
Une impossible mise en œuvre de la transmission des données de consommation ?
Cette réflexion s’est concrétisée lors des débats de 2015 sur la loi relative à la transition énergétique1 : l’article 201 de ce texte a mis en place un dispositif de transmission par les fournisseurs d’énergie des données de consommation (électricité et gaz) exprimées en euros (plus parlant qu’en unité de consommation KWh) aux bénéficiaires des tarifs sociaux au moyen d’un dispositif déporté d’affichage en temps réel, (cf.article L.124-5 du Code de l’énergie). Les coûts supportés par les fournisseurs pour la mise en œuvre de ce dispositif, qui imposait la fourniture gratuite aux ménages d’un afficheur déporté, devaient être compris dans la compensation des charges imputables aux missions de service public, dans la limite d’un montant unitaire maximal. Cette mise à disposition des données de consommation avait pour objectif de permettre à ces consommateurs précaires d’adapter leur comportement afin de réduire leur consommation d’énergie et donc le montant de leur facture. Les discussions s’étaient cristallisées autour de l’utilité réelle d’un tel dispositif a priori fort coûteux pour la collectivité et pour des ménages qui, habitant le plus souvent dans des « passoires énergétiques », avaient peu de marge de manœuvre pour améliorer leur consommation d’énergie. Cette offre de mise à disposition des données de consommation n’a cependant jamais été déployée par les fournisseurs, faute de publication de tous les textes d’application.
Le législateur est revenu sur ce mécanisme avec l’article 13 de la loi Energie Climat2 qui a modifié l’article L.214-5 du Code de l’énergie en supprimant la précision sur le moyen par lequel les fournisseurs doivent transmettre les données de consommation aux ménages en situation de précarité. Ainsi, les données doivent être transmises en temps réel aux consommateurs précaires (via par exemple un smartphone) mais elles n’ont plus à être affichées en temps réel sur un afficheur déporté. Cette modification apportée au dispositif devrait donc en réduire le coût. La question du financement de l’offre de transmission des données a encore une fois été débattue. L’utilisation des certificats d’économies d’énergie a été évoquée, puisqu’un tel dispositif devrait améliorer la maîtrise de la demande d’énergie.
Un avis très critique
A la fin de l’année 2020, le Gouvernement a saisi pour avis la Commission de régulation de l’énergie d’un projet de décret et de trois arrêtés ayant vocation à réformer ce dispositif et à assurer sa mise en œuvre effective au 1er juillet 2022. C’est un avis très critique qui a été rendu le 7 janvier 20213 par le régulateur regrettant l’absence récurrente d’études d’impact préalables et soulignant le risque de voir les lourdeurs de ce dispositif entraver les changements de fournisseurs et appelant de ses vœux la prise en charge partielle du financement de ce dispositif par le mécanisme des certificats d’économies d’énergie.
Le Gouvernement a finalement peu suivi l’avis du régulateur dans les quatre textes qui ont été adoptés le 19 mai 2021, à savoir un décret précisant les modalités de mise à disposition par les fournisseurs d’une offre de transmission des données de consommation en euros4, complété par trois arrêtés5 définissant entre autres les données transmises et la compensation des coûts supportés par les fournisseurs. Reste à voir comment concrètement les fournisseurs déploieront cette offre de transmission des données de consommation d’énergie à destination des consommateurs précaires.
1. Loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
2. Loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.
3. Délibération n°2021-05 de la Commission de régulation de l’énergie du 7 janvier 2021 portant avis sur un projet de décret et trois projets d’arrêtés relatifs à une offre, par les fournisseurs d’électricité et de gaz naturel, de transmission des données de consommation, exprimées en euros, pour les ménages bénéficiaires du chèque énergie.
4. Décret n°2021-608 du 19 mai 2021 relatif à l’offre de transmission des données de consommation d’électricité et de gaz naturel aux consommateurs précaires.
5. Arrêté du 19 mai 2021 relatif aux informations minimales qui doivent être affichées dans le cadre du dispositif d’accès aux données prévu par l’article L. 124-5 du code de l’énergie, Arrêté du 19 mai 2021 définissant les spécifications minimales de l’émetteur radio dans le cadre de l’accès aux données de consommation d’électricité prévu par l’article L. 124-5 du code de l’énergie et Arrêté du 19 mai 2021 relatif aux plafonds de compensation par ménage des fournisseurs d’électricité et de gaz dans le cadre de l’offre de transmission de leurs données de consommation aux consommateurs en situation de précarité