L’administration fiscale française a publié ses commentaires sur la convention franco-luxembourgeoise du 20 mars 2018 (« la Convention »). L’occasion de faire le point sur les apports des commentaires et les impacts concrets qu’a eus cette nouvelle mouture dans la structuration des investissements depuis son entrée en vigueur au 1er janvier 2020.
Par Frédéric Gerner, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de conseil que de contentieux dans les questions relatives aux impôts directs, notamment celles liées aux restructurations intragroupes et à l’immobilier.
Et Mary Lédée, avocat en fiscalité. Elle intervient en matière de fiscalité transactionnelle et conseille les entreprises au quotidien, principalement dans le secteur immobilier (structuration des acquisitions, accompagnement dans le cadre des négociations et en matière de rédaction des clauses fiscales des actes, réalisation d’audits).
Les commentaires administratifs sur la Convention confirment la volonté d’éviter l’optimisation fiscale
La Convention, qui avait fait autrefois du Luxembourg un eldorado des investisseurs en quête d’optimisation fiscale, est aujourd’hui une des conventions fiscales les plus modernes et à ce titre, une des plus protectrices des intérêts financiers des Etats de source du revenu.
Ainsi, les clauses visant à limiter le treaty shopping, qui ont été insérées tout au long du texte, comprennent notamment le refus des avantages conventionnels en cas de montage dont l’un des principaux objectifs réside dans l’application de la Convention, la subordination de l’octroi de crédits d’impôt visant à éliminer la double imposition au paiement effectif d’un impôt dans l’autre Etat ou bien encore l’inclusion d’une clause de bénéficiaire effectif dans la clause relative aux dividendes. De telles dispositions sont désormais classiques dans les conventions les plus récentes.
De même, la clause limitant l’application de la retenue à la source (« RAS ») au taux conventionnel aux dividendes distribués par les SIIC et les OPCI existe déjà dans les conventions franco-allemande et franco-britannique.
On note toutefois quelques spécificités propres à la Convention qui méritent d’être notées :
– en qui concerne l’octroi du statut de résident aux seules personnes morales assujetties à l’impôt dans leur Etat de résidence (alors qu’il était autrefois attribué au lieu du siège).
L’administration fiscale précise dans ses commentaires que les véhicules d’investissement immobilier (les « VII ») qui ne sont pas, en règle générale, soumis au paiement d’un impôt au titre des bénéfices tirés de leur activité principale dans l’Etat dans lequel ils sont établis ne peuvent être regardés comme résidents au sens conventionnel. Cette allusion à l’activité principale semble viser les sociétés SIIC et leurs filiales ayant opté pour ce régime qui, contrairement aux OPCI, sont autorisées à exercer une activité accessoire. Si une telle interprétation était confirmée, elle remettrait en cause la position de la pratique majoritaire qui les considère au contraire comme des résidents conventionnels du fait du caractère taxable de leur éventuel secteur accessoire.
Une dérogation au critère de l’assujettissement à l’impôt est toutefois prévue s’agissant des distributions de dividendes et des paiements d’intérêts transitant par un organisme de placement collectif (« OPC »). Ces OPC ne sont pas souvent qualifiés de résidents au sens conventionnel en l’absence de paiement d’impôt. Le point 2 du protocole permet toutefois l’application de la RAS au taux conventionnel aux dividendes (RAS réduite à 15 % voire totalement supprimée en cas de participation au capital de l’entité distributrice d’au moins 5 %) et intérêts (RAS totalement supprimée) transitant par un OPC établi dans un Etat contractant si ce dernier est assimilé par l’autre Etat à ses propres OPC sans toutefois indiquer le type d’OPC concerné1. Les commentaires administratifs précisent à ce titre que, du côté français, les véhicules luxembourgeois qui seront comparables aux véhicules français devront présenter des caractéristiques similaires aux OPCVM (SICAV ou FCP) ou aux fonds visés par l’article 119 bis 2 du Code général des impôts. En pratique, l’impact de cette clause « plus favorable » devrait être limité côté français puisque le droit interne exonère déjà de RAS les intérêts ainsi que les dividendes versés par des sociétés françaises (hors VII) à des OPC étrangers comparables aux OPC français visés à l’article 119 bis 2 du CGI précité. Les VII étant exclu de cette mesure de faveur, l’avantage conventionnel devrait s’appliquer en réalité à un nombre de situations restreint ;
– en ce qui concerne l’imposition des plus-values résultant de la cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière, les commentaires administratifs, fidèles à la lettre de la Convention, précisent que la condition de prépondérance immobilière est satisfaite si elle est atteinte au moins une fois sur la période des 365 jours qui précèdent la cession. Une telle formule est plus large que le droit interne français qui apprécie la prépondérance immobilière des sociétés étrangères soit à la cession soit au cours des trois derniers exercices précédant la cession. Dans le cas où cette clause attribuerait à la France le droit d’imposer une plus-value alors même que son droit interne ne reconnait pas la prépondérance immobilière de la société concernée, se poserait alors la question du fondement légal d’une telle imposition.
En définitive, il ressort de la Convention comme des commentaires administratifs y afférents que le Luxembourg n’est aujourd’hui plus une plateforme d’investissements privilégiée pour des raisons fiscales.
L’amorce d’un changement dans la structuration des investissements immobiliers
En dépit de la Convention, le Grand-Duché garde de nombreux atouts pour les investisseurs à la recherche d’une plateforme européenne d’investissements. En effet, la taille réduite de ses administrations et son expérience des investissements permet au Luxembourg d’allier souplesse et rapidité. De tels avantages ont toutefois un coût. Les administrations fiscales étrangères (et en particulier la France) sont en effet de plus en plus exigeantes en matière de substance locale (locaux, personnels, présence d’administrateurs résidents du Luxembourg, etc.). A cela s’ajoute l’hostilité grandissante de l’opinion publique qui considère l’investissement via le Luxembourg comme étant peu vertueux.
Ce contexte a favorisé l’émergence ces deux dernières années de nouvelles formes d’investissements en particulier dans le secteur immobilier. Les structurations complexes impliquant plusieurs Etats et des financements hybrides ont laissé place à des structurations favorisant la simplicité. Dans cette nouvelle configuration, deux tendances semblent se dessiner :
– le retour des structures « plain vanilla » dans lesquelles l’investisseur acquiert directement l’immeuble français ou interpose une SCI translucide pour des besoins de financement. Dans ce schéma, l’ensemble des profits est imposé en France dans les conditions de droit commun. Le droit interne français permet alors de remonter les liquidités au niveau des investisseurs sans frottement fiscal ;
– l’émergence des structurations basées sur l’application des principes européens de non-discrimination. Ce type de structuration peut s’envisager pour des fonds européens comparables à des fonds français qui bénéficient d’une exonération d’impôt en application du droit interne. Dans une telle situation, le fonds est alors légitime à revendiquer le même traitement que son homologue français en application des principes de liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux.
1. A hauteur des droits détenus par des résidents de France, du Luxembourg ou d’un Etat tiers ayant conclu avec l’Etat de source des revenus une convention d’assistance administrative.