La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Dossier :  Acquérir, céder ou conserver une entreprise familiale

Pacte Dutreil et gouvernance : les défis de la transmission démembrée sur la gestion des pouvoirs

Publié le 12 décembre 2024 à 15h12

CMS Francis Lefebvre Avocats    Temps de lecture 5 minutes

Par Christophe Lefaillet, avocat associé en corporate/fusions et acquisitions et en fiscalité (droits d’enregistrement et IFI). Il intervient particulièrement dans les opérations de réorganisations de groupe de sociétés et de fusions-acquisitions / Clémence Darné-Lajoux, avocate counsel en droit fiscal. Elle conseille les dirigeants en matière de fiscalité des entreprises et du patrimoine, sur toutes les opérations exceptionnelles touchant leur patrimoine professionnel (restructurations, croissance externe, transmission d’entreprises).

La conclusion d’un pacte Dutreil permet de faciliter les transmissions d’entreprise, le plus souvent familiales, en les faisant bénéficier d’une exonération de droits de donation ou de succession de 75 %.

Lorsque la donation porte sur la seule nue-propriété des titres transmis, l’usufruit étant conservé par le donateur, elle n’est toutefois éligible au régime du pacte Dutreil qu’à la condition que les droits de vote de l’usufruitier soient statutairement limités aux décisions relatives à l’affectation des bénéfices.

Ni l’article 787 B du Code général des impôts, ni la doctrine administrative n’apportent de précisions quant aux contours de cette obligation qui représente une contrainte non négligeable pour le chef d’entreprise, a fortiori dans un contexte transactionnel.

Dans plusieurs jugements inédits du 23 septembre 2024 (1), le Tribunal Judiciaire de Paris est venu définir le champ d’application temporel de cette condition et rappeler le caractère essentiel de celle-ci.

Les juges ont en effet considéré, à propos d’une société luxembourgeoise dont les titres avaient fait l’objet d’une donation en nue-propriété deux ans auparavant, que l’absence de reprise de la mention limitant les pouvoirs de l’usufruitier, dans les statuts de cette société luxembourgeoise, à l’occasion de son transfert de siège, contrevenait aux conditions posées pour le bénéfice du régime du pacte Dutreil.

Les arguments invoqués par les parties, qui (i) justifiaient que la mention limitant les pouvoirs de l’usufruitier à l’affectation des bénéfices figurait bien dans les statuts originaux, applicables à la date de la transmission, et (ii) démontraient qu’en pratique, le droit luxembourgeois limitait le droit de vote de l’usufruitier aux décisions concernant l’affectation des bénéfices, n’ont pas été retenus par les juges.

Le Tribunal Judiciaire de Paris a remis en cause l’exonération appliquée en jugeant que l’absence de précision sur la durée d’application de la clause limitant les droits de vote ne saurait s’entendre comme permettant de redonner à l’usufruitier l’ensemble des droits de vote après la transmission.

Cette série de décisions, inédites à notre connaissance, vient confirmer, au moins partiellement, la position retenue de longue date par l’administration. Celle-ci avait en effet considéré dans une ancienne réponse ministérielle de 2010 (2), non reprise au BOFIP, qu’en matière de pacte Dutreil, les restrictions statutaires applicables à l’usufruitier devaient être maintenues aussi longtemps que l’usufruit. Elle avait à ce titre refusé d’admettre la possibilité pour le donateur de revenir au statu quo ante, en recouvrant l’ensemble des droits de vote à l’issue de la période d’engagement, y compris en présence d’enfants mineurs.

Si la position de l’administration, qui consiste à faire perdurer la restriction des droits de vote de l’usufruitier sans limite de temps, n’est pas exempte de critique, les jugements récents du Tribunal Judiciaire de Paris sont l’occasion de rappeler qu’une transmission est susceptible d’emporter des conséquences diverses en matière de gouvernance, dont il convient d’anticiper les enjeux avec précision, a fortiori dans un contexte transactionnel de dilution du pouvoir de décision du chef d’entreprise.

Les instruments juridiques permettant d’aménager la gouvernance dans un sens favorable au donateur, via par exemple la conversion ou l’émission d’actions de préférence (incluant ou non une golden share) ou via l’insertion de clauses dérogatoires aux statuts dans un pacte d’associés, seront dans ce contexte à manier avec une extrême prudence, a fortiori depuis l’entrée en vigueur du mini-abus de droit de l’article L64 A du livre des procédures fiscales, s’agissant des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020.

La restriction ne concernant toutefois que les seuls titres transmis sous le bénéfice du régime du pacte Dutreil, la pertinence de l’application de ce régime à la transmission envisagée et/ou l’étendue de son périmètre seront à apprécier par le chef d’entreprise à l’aune du pouvoir de décision qu’il souhaite conserver et des exigences de ses investisseurs. 

1. Tribunal Judiciaire de Paris, 9e ch. 1ère section, 23 septembre 2024, n°08754, 08757, 08759, 08763, 08765, 08768, 08772, 08775, 08776, 08779.

2. Rep. Min. n°80202 : JOAN 21 décembre 2010, Roubaud.


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