La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Dossier / Acquérir, céder ou conserver une entreprise familiale

Pacte Dutreil et opérations de LBO : les vertus du « Family Buy-Out »

Publié le 12 décembre 2024 à 15h52

CMS Francis Lefebvre Avocats    Temps de lecture 7 minutes

Par Laurent Hepp, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity / Luc Jaillais, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et de groupes de sociétés que dans le domaine de la fiscalité des particuliers / Antoine Melchior, avocat en corporate/fusions et acquisitions. Il assiste des industriels, des groupes familiaux, des fonds d’investissement et des entrepreneurs et managers dans le cadre de tous types d’opérations de fusion-acquisition, LBO, management package, et joint-venture, tant nationales qu’internationales.

Bien que ces deux mécanismes puissent paraître antinomiques en ce que l’un a vocation à assurer une stabilité de l’actionnariat familial tandis que l’autre induit nécessairement une liquidité des investissements, pacte Dutreil et opérations de LBO peuvent être conjugués afin de faciliter la transmission d’entreprises familiales et leur financement.

Rappelons en préambule que le pacte Dutreil est un dispositif créé en 2003 en vue de favoriser la transmission de titres de sociétés exerçant une activité économique moyennant une exonération de 75 % de la valeur imposable aux droits de donation ou de succession.

Entre autres conditions, la transmission doit être opérée au cours de l’engagement collectif de conservation (ECC) d’une durée minimale de 2 ans, conclu par un ou plusieurs actionnaires qui engagent des titres représentant au moins 34 % des droits de vote et 17 % des droits financiers (cas des sociétés non cotées).

Une fois la donation ou la succession accomplie, l’ECC doit être respecté jusqu’à son terme, tout particulièrement par les bénéficiaires de la transmission qui devront, en outre, conserver les titres pendant une durée supplémentaire de 4 ans au titre de l’engagement individuel de conservation (EIC).

La durée cumulée de ces périodes de conservation est donc de 6 années, qui peut être ramenée à 4 ans lorsque l’engagement collectif peut être « réputé acquis » dès la date de la transmission, au constat que toutes les conditions requises étaient remplies au cours des deux années précédentes.

A première vue, cette durée de détention et le cadre relativement contraint du régime Dutreil semblent entrer en contradiction avec le schéma type des investisseurs financiers opérant dans le cadre d’un LBO.

Et pourtant, la pratique dite des « Family Buy Out » (FBO) est parvenue à se développer à la faveur notamment de la loi PACTE de 2019 qui est venue assouplir les possibilités d’un apport des titres sous pacte Dutreil, lequel peut désormais intervenir aussi bien avant qu’après la transmission à titre gratuit.

Le cas d’école d’un FBO est celui dans lequel seule une partie des héritiers de l’entreprise familiale est reconnue apte et/ou se porte volontaire à sa reprise.

Dans cette situation, le ou les donateurs effectuent une donation de titres valablement engagés dans un pacte Dutreil, au bénéfice des « élus » qui s’engagent à indemniser les autres héritiers par le paiement d’une soulte. Bien entendu, le donateur repreneur n’est taxable que sur 25 % de la valeur des titres donnés nette du montant de la soulte. L’obtention de la soulte constitue dans ce contexte une transmission imposable mais, last but not least, celle-ci bénéficie aussi de l’abattement de 75 %.

Sur le plan du droit des successions, les donateurs et donataires seront avisés de conférer à cette donation le caractère d’un partage (« donation-partage ») qui permet de figer définitivement les valeurs retenues dans l’acte, prévenant ainsi tout risque de litige à cet égard entre les héritiers au jour du règlement de la succession. Notons que la donation-partage peut parfaitement opérer la transmission d’un seul lot au bénéfice d’un unique héritier dès lors que celui-ci s’engage dans l’acte à indemniser, au moyen d’une soulte, les autres héritiers qui l’acceptent.

Se pose alors la question des modalités de financement de la soulte par le ou les donataires repreneurs.

La même loi PACTE a grandement facilité la réalisation de ces opérations en permettant l’apport des titres sous ECC à une holding de reprise, sans attendre l’expiration de sa durée minimum de 2 ans.

De surcroît, la loi a ramené de 100 % à 75 % le quota minimum de détention du capital et des droits de vote par le ou les bénéficiaires du dispositif Dutreil, c’est-à-dire les donataires, laissant ainsi la possibilité à des tiers, voire aux donateurs qui auraient conservé des titres de la société opérationnelle concernée, d’entrer au capital de la holding de reprise dans la limite d’un seuil de détention de 25 %.

Cette souplesse peut par exemple autoriser la montée au capital de la holding de fonds d’investissements, ou encore de dirigeants ou salariés de la société opérationnelle si la mise en place d’un plan d’association ou d’intéressement est envisagée.

Cette société holding pourra, classiquement lors d’une opération de LBO, s’endetter et bénéficier de l’effet de levier financier et fiscal y afférent, sous réserve de l’application des règles de non déduction des intérêts (dispositif Charasse notamment). Cet endettement (associé aux fruits de l’investissement du fonds d’investissement) pourra permettre le paiement de la soulte due par le ou les donataires repreneurs au profit des autres donataires non-repreneurs. Il pourra aussi être utilisé pour financer le rachat des participations le cas échéant non comprises dans la donation ou non détenues par la famille dans la société ayant fait l’objet du pacte Dutreil, mais aussi d’éventuelles opérations de croissance externe ou d’investissement d’autre sorte (dans la limite toutefois du seuil de 50 % de l’actif visé ci-dessous).

Comme dans une opération classique de LBO, cette dette sera enfin remboursée au moyen de la remontée des dividendes de la société opérationnelle, opérée fiscalement par la holding sous le bénéfice du régime « mère-fille » et, le cas échéant, du régime d’intégration fiscale permettant, respectivement, sous conditions, une exonération des dividendes distribués sous réserve de l’imposition d’une quote-part de frais et charges de 5 % ou de 1 %.

La liquidité sur la fraction de capital détenue par les tiers co-actionnaires (fonds d’investissement et/ou salariés) pourra également être encadrée indépendamment de la durée des engagements de conservation des donataires afférents au régime Dutreil.

Un autre apport important de la loi PACTE est d’avoir sensiblement allégé la condition de composition de l’actif brut de la holding, qui depuis lors doit comporter au moins 50 % de participations soumises au pacte Dutreil. Ce quota permet d’envisager la détention d’autres actifs, par exemple dans une stratégie de buy and build qui pourra être accélérée par l’entrée au capital d’un investisseur financier.

Enfin, la possibilité ouverte par la réglementation de procéder à l’apport des titres soumis au régime Dutreil avant la donation-partage peut présenter certains avantages dans l’organisation de la gouvernance entre les différents donataires au sein de cette holding en amont de la transmission.

S’agissant de la gouvernance, il convient en particulier de rappeler qu’en matière de régime Dutreil un des signataires de l’ECC ou un des héritiers repreneurs doit s’engager à exercer une fonction de direction dans l’entreprise pendant toute la durée couverte par l’ECC et pour une période minimum de trois ans à compter de la transmission. Cette contrainte devra être impérativement prise en compte dans la définition des règles de gouvernance entre les donataires et le(s) tiers investisseur(s) tout comme la préservation par les actionnaires familiaux repreneurs d’un contrôle sur les opérations du groupe. Classiquement, un investisseur financier pourra se voir accorder un droit de veto sur certaines décisions stratégiques. La conclusion d’un pacte d’associés s’imposera dans ce cas de figure.

Ainsi, le mécanisme du FBO peut-il présenter la double vertu d’assurer une transmission générationnelle ciblée de l’entreprise familiale tout en lui permettant de réunir par la même occasion de nouvelles ressources pour sa croissance future. 


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