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Pas de contrôle européen des concentrations « sous les seuils »

Publié le 12 décembre 2024 à 14h49

CMS Francis Lefebvre Avocats    Temps de lecture 4 minutes

Par Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat counsel au sein du département doctrine juridique. Elle intervient notamment en droit de la concurrence, droit de la consommation et droit européen / Vincent Lorieul, avocat counsel en droit de la concurrence et droit européen, intervient devant les autorités administratives (Autorité de la concurrence, Commission européenne, DGCCRF) et les juridictions commerciales et civiles.

Lorsqu’elles dépassent certains seuils, généralement exprimés en chiffre d’affaires ou en parts de marché, les opérations de concentration doivent faire l’objet d’un examen préalable par une autorité de concurrence.

Pendant longtemps, l’opinion dominante était qu’en dessous des seuils, les autorités de concurrence ne pouvaient exercer un quelconque contrôle sur une opération. Néanmoins, le rapprochement en septembre 2020, d’Illumina (société américaine spécialisée dans le séquençage génétique) et de Grail (star-up américaine de biotechnologie développant des tests sanguins pour le dépistage précoce du cancer) allait rebattre les cartes.

Dans cette affaire, Grail qui était une entreprise récente et prometteuse ne réalisait pas encore de chiffre d’affaires de sorte que l’opération était située en dessous des seuils européens et nationaux.

Désireuse de pouvoir appréhender les acquisitions d’entreprises émergentes à fort potentiel concurrentiel dans les secteurs de l’innovation numérique, de la santé ou des biotechs, la Commission européenne s’était emparée de cette occasion pour inviter les autorités nationales de concurrence à la saisir sur le fondement de l’article 22 du règlement 139/2004 applicable aux concentrations. Cet article 22 autorise les autorités nationales de concurrence à demander à la Commission d’examiner toute concentration qui, sans être de dimension européenne, affecte le commerce entre les Etats membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États concernés. La Commission estimait alors que ce texte lui permettait d’examiner, à la demande d’un ou plusieurs Etats, une opération même si elle ne franchissait pas les seuils nationaux.

Si cette interprétation de l’article 22 constituait un revirement pour la Commission européenne, celle-ci avait été suivie dans son approche par le Tribunal de l’Union européenne.

A tort, puisque la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a mis un coup d’arrêt à la volonté de la Commission européenne et d’autorités nationales de concurrence de contrôler des opérations sous les seuils. En effet, dans un arrêt de septembre 2024, la CJUE écarte toute possibilité de renvoi à la Commission européenne d’une opération de concentration dépourvue de dimension européenne par des autorités nationales de concurrence lorsque les seuils nationaux de contrôle ne sont pas atteints (CJUE 3/9/2024 aff. 611/22 P, Illumina/Grail).

C’en est donc fini de l’interprétation extensive de l’article 22, I du règlement 139/2004. Retour à la case départ ?

La volonté des autorités de concurrence d’appréhender les opérations sous les seuils, notamment en cas de killer acquisitions, pourrait bien perdurer en s’appuyant sur d’autres outils.

D’une part, une révision des seuils de contrôle européens et/ou nationaux est toujours envisageable bien qu’en France, un projet de loi en cours d’examen devant le Parlement prévoit plutôt un rehaussement des seuils.

D’autre part, une opération de concentration sous les seuils de contrôle européen et nationaux peut être analysée par une autorité nationale de concurrence sur le terrain de l’abus de position dominante (CJUE 16 mars 2023, aff. C-449/21 Towercast) voire sur le terrain des ententes (Décision de l’Autorité de la concurrence française n° 24-D-05 du 15 mai 2024). Reste qu’un tel contrôle sur le fondement des pratiques anticoncurrentielles n’intervient qu’a posteriori alors que l’intérêt du droit des concentrations est de contrôler ex ante ces opérations.

Signe d’un non-renoncement : la Commission européenne a indiqué, le 29 novembre 2024, tout en retirant  ses orientations de 2021 sur l’application du mécanisme de renvoi de l’article 22 à certaines catégories d’affaires, que ce retrait était sans préjudice de toute initiative future concernant les opérations impliquant des PME ou des ETI qui se situent en deçà des seuils nationaux applicables.

Sujet à suivre donc. Nul doute que l’actualité économique fournira d’autres exemples incitant les autorités de concurrence à faire preuve de créativité pour examiner des opérations qui échapperaient à leur contrôle. 


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