Par Caroline Buyse, avocat counsel en corporate/ fusions et acquisitions. Elle conseille les entreprises françaises et internationales sur des opérations de restructurations (fusions, apports, etc.), d’acquisitions, de management package et plus généralement sur toutes questions de droit des sociétés pour des clients issus de secteurs divers.
Les entreprises familiales représentent une part importante des PME et des ETI en France. La plupart d’entre elles sont dites « fermées », ce qui signifie qu’elles n’ont jamais ouvert leur capital à des tiers à la famille.
La question se pose de savoir comment ces entreprises conservent ce précieux caractère familial, et quelles sont les clauses les plus efficaces mises en place pour y parvenir.
Les principaux types de clauses auxquels les rédacteurs d’actes ont fréquemment recours en droit des sociétés sont celles restreignant les transferts de titres, qu’elles soient statutaires ou extra-statutaires.
Parmi elles, figurent en premier lieu les clauses d’agrément dont l’application peut être déclinée en fonction des aménagements envisagés, sous réserve de ce que permet la forme sociale de la société concernée. Il est à ce titre possible de soumettre l’intégralité des transferts de titres à l’agrément des associés, à la seule exception de ceux réalisés entre associés (fondateurs ou non) de la société et/ou ceux réalisés au profit de leurs ascendants et/ou descendants et/ou, plus rare en pratique, de leur conjoint. De façon pragmatique, il peut être défini dans la documentation sociale une notion de « groupe familial », laquelle préciserait les membres qui le composent, groupe au profit duquel tout transfert de titres serait considéré comme libre. Il est aussi envisageable d’étendre cette liberté de céder à toute société dirigée par des membres de ce groupe familial et dont le capital social et les droits de vote sont détenus exclusivement par ces derniers.
En outre, et sous réserve là encore du respect des dispositions légales applicables à certaines formes sociales, les statuts peuvent subordonner l’entrée des héritiers ou légataires au capital de la société à un agrément préalable. L’agrément donné n’est pas nécessairement global, et peut être accordé à certains héritiers ou légataires et refusé à d’autres.
Jusqu’à l’obtention de l’agrément, l’héritier ou le légataire concerné n’est pas associé. Dès lors, il convient de préciser dans les statuts le sort des parts sociales ou actions de l’associé défunt pour la période comprise entre le décès et la décision d’agrément. Il peut être prévu, par exemple, que les parts resteront indivises (avec représentation par un mandataire commun choisi parmi les associés survivants), ou qu’elles seront momentanément « neutralisées » et ne seront ainsi pas prises en compte dans le calcul du quorum et de la majorité requise pour l’adoption des décisions.
On entend par « héritier » toute personne venant à la succession du défunt, soit directement, soit par représentation (cas, par exemple, des petits-enfants lorsque leur père ou leur mère, héritier du défunt, est lui-même décédé ou renonçant). Dans les sociétés civiles, le conjoint de l’associé décédé qui reçoit les parts sociales en vertu d’une donation entre époux est assimilé au « légataire » au regard de l›article 1870 du Code civil : il convient ainsi de préciser si ce dernier est soumis ou non à l’agrément. En effet il a été jugé qu’une clause des statuts d’une société civile de famille qui prévoyait que les héritiers « en ligne directe » d’un associé décédé doivent être agréés avant de devenir associés était également applicable au conjoint survivant du défunt : il ne pouvait être déduit du silence des statuts sur l’agrément des autres héritiers que ces derniers ne sont soumis à aucun agrément1.
Le droit de préemption peut également permettre de maintenir le caractère familial de la Société, celui-ci pouvant être consenti au profit de l’ensemble des membres d’une famille, ou d’une branche de celle-ci, pour contribuer à maintenir un équilibre au sein même de la famille qui détient le contrôle de la société.
La clause d’inaliénabilité, qui a pour objet d’interdire la cession ou la transmission des droits sociaux sur lesquels elle porte, est par ailleurs un outil efficace pour maintenir les équilibres existants et assurer la pérennité de la société.
Il convient enfin de prêter une attention particulière aux mots qui sont employés dans ces clauses restreignant les transferts de titres et de les définir au préalable. Il est important, notamment, qu’une clause restreignant les transferts de titres puisse non pas simplement viser la simple « cession » qui implique une contrepartie en numéraire mais bien les « transferts » au sens large et inclure dans la définition ceux résultant de la conséquence d’un changement de régime matrimonial, de la liquidation de la communauté entre époux, d’une succession ou encore d’une donation.
Cette liste de clauses, non exhaustive, constitue un simple aperçu des aménagements rédactionnels possibles et des précautions à prendre pour préserver le caractère « familial » des sociétés qui s’en prévalent et qui en font leur ADN.
1. CA Paris 29-6-2011 n° 10/12355 : RJDA 1/12 n° 60 et, sur pourvoi, Cass. com. 6-11-2012 n° 11-25.058 F-D : RJDA 2/13 n° 130.