La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Dossier / Acquérir, céder ou conserver une entreprise familiale

Les mécanismes de liquidité au sein des sociétés familiales

Publié le 12 décembre 2024 à 15h20

CMS Francis Lefebvre Avocats    Temps de lecture 7 minutes

Il n’est pas rare que les membres de sociétés familiales peinent à céder leurs titres ou à acquérir des titres supplémentaires. Plusieurs mécanismes peuvent alors être envisagés afin d’offrir aux associés la liquidité qui leur fait défaut. Il convient toutefois d’anticiper certaines difficultés pour que les dispositifs mis en œuvre soient pleinement efficaces.

Par Virginie Corbet-Picard, avocate associée en corporate/ fusions et acquisitions. Elle intervient pour le compte de groupes de sociétés, de fonds d’investissement et de managers sur toutes questions de droit des sociétés, notamment dans le cadre d’opérations de réorganisations intra-groupe ou de restructurations dans un contexte de rapprochement d’entreprises ou de fusions-acquisitions / Jean-Charles Daguin, avocat counsel en corporate/ fusions et acquisitions. Il intervient principalement en droit des sociétés auprès de groupes dans le cadre d’opérations de restructurations, mais aussi sur des opérations de fusions-acquisitions, notamment dans un contexte international / François Gilbert, docteur en droit, avocat counsel au sein du département doctrine juridique. Il intervient en droit des sociétés et droit des marchés financiers.

Mécanismes à envisager

Les membres d’une société familiale qui souhaitent céder ou acquérir des titres ont tendance à s’adresser directement aux autres associés, les liens familiaux permettant à l’offre de rencontrer la demande et, in fine, de créer un marché.

Il arrive cependant que les associés, bien que membres d’une même famille, ne se connaissent pas tous. C’est notamment le cas dans les sociétés familiales anciennes où, au fur et à mesure des générations, les titres peuvent être détenus par plusieurs dizaines, voire centaines, de personnes aux liens familiaux très lointains.

Dans ce cas, l’intermédiation de la société elle-même, qui, en tant que teneur de compte, dispose de la liste et des coordonnées des associés, peut s’avérer utile pour mettre en relation les candidats vendeurs et acheteurs. Toutefois, il est rare que, dans le cadre de ce marché primaire, l’offre corresponde exactement à la demande, de sorte qu’en pratique, il est nécessaire de faire intervenir une entité qui peut jouer, à titre subsidiaire, le rôle « de caisse de rachat / de vente » pour fluidifier ce marché et lui permettre de fonctionner.

On pense immédiatement à la société émettrice, mais les contraintes applicables au rachat par la société de ses propres actions sont nombreuses.

Tout d’abord, ce rachat peut intervenir dans le cadre d’une réduction de capital non motivée par des pertes, mais doit alors être proposé à tous les associés. Il ne permet donc pas d’atteindre l’objectif de faire sortir un ou plusieurs d’entre eux en particulier, sauf si les associés acceptent à l’unanimité de « réserver » le bénéfice de la réduction de capital à certains d’entre eux.

Ensuite, un tel rachat peut intervenir dans le cadre d’un programme de rachats d’actions mais, outre qu’elle doit servir des finalités bien précises, cette procédure présente l’inconvénient majeur d’imposer le recours à un expert indépendant qui fixe une fourchette de prix juridiquement contraignante. S’en remettre à une valeur déterminée par cet expert peut donc s’avérer risqué.

Enfin, quelle que soit la procédure de rachat utilisée, une SA ou une SAS ne peut détenir plus de 10 % de ses propres actions.

Compte tenu de l’ensemble de ces contraintes, il est rare que la société elle-même soit le véhicule le plus adapté pour jouer le rôle d’animateur de ce marché secondaire. En pratique, c’est souvent une autre société du groupe qui intervient à cet effet, dans les limites de ce que prévoient les dispositions légales applicables en matière de participations croisées et de boucles d’autocontrôle.

Relevons enfin que vendeurs et acquéreurs sont juridiquement libres de s’accorder sur le prix de cession des titres. Néanmoins, dans le cadre de l’organisation d’un mécanisme de bourse interne, il peut être opportun de déterminer un prix de cession, ou une méthode de détermination, notamment via un expert, applicable à l’ensemble des transactions. Plus généralement, un règlement peut fixer l’ensemble des autres règles de fonctionnement de cette bourse interne : calendrier, règles applicables en cas de défaillance d’un vendeur ou d’un acquéreur, en particulier.

Difficultés à anticiper

Les mécanismes visant à offrir une liquidité satisfaisante sont porteurs de difficultés qu’il convient d’anticiper. Un soin particulier doit ainsi être apporté à la mise en œuvre du dispositif de bourse interne déjà évoqué. Il importe en effet d’assurer la conformité de ce mécanisme à la règlementation, singulièrement stricte, relative aux offres au public. Deux impératifs doivent ainsi être respectés pour soustraire les associés, et la société elle-même, aux exigences règlementaires.

Dans un premier temps, il conviendra de structurer le mécanisme de bourse interne de sorte qu’il ne reçoive pas la qualification d’offre au public.

Deux dispositions du règlement 2017/1129/UE « Prospectus » méritent ici d’être rappelées. L’article 2.d, tout d’abord, qui définit l’offre au public de titres comme « une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces [titres] ». L’article 5.1 alinéa 1er, ensuite, selon lequel toute revente ultérieure de titres ayant fait l’objet d’une offre au public relevant d’un « placement privé » (voir ci-dessous) est considérée comme une offre distincte, constitutive d’une offre au public lorsque les critères de qualification précités sont réunis.

Ces textes exigent dès lors que la bourse interne comprenne deux étapes distinctes. D’une part, chaque associé souhaitant céder des titres devra adresser son offre de vente à une entité dédiée : l’offre étant faite à une seule personne, le critère de « communication adressée à des personnes » ne sera pas satisfait. D’autre part, chaque associé souhaitant acquérir des titres devra adresser une offre d’achat à ladite entité : cette dernière ne procédant à aucune offre de vente, le critère de « communication [mettant] un investisseur en mesure de décider d’acheter des titres » ne sera pas davantage rempli.

Dans un second temps, à défaut d’avoir pu écarter la qualification précitée, il conviendra de structurer le mécanisme de bourse interne pour qu’il ne donne pas lieu à la publication d’un document d’offre au public.

Ce document, tout d’abord, peut prendre la forme d’un prospectus. En effet, l’article 3.1 du règlement européen impose aux personnes procédant à une offre au public de titres de publier un tel prospectus devant être approuvé par l’AMF. Toutefois, l’article 1.4.a à d dispense de publication les personnes procédant à une offre constitutive d’un « placement privé ». Cette dispense commande ainsi à chaque associé souhaitant céder des titres de procéder à une offre de vente qui, soit est adressée à des investisseurs qualifiés ou à moins de 150 personnes autres que des investisseurs qualifiés, soit porte sur des titres d’une valeur nominale d’au moins 100 000 euros ou pour un montant d’au moins 100 000 euros par investisseur.

Le document d’offre, ensuite, peut prendre la forme d’un document d’information synthétique. Ainsi, les articles L. 412-1, IV du Code monétaire et financier et 212-43 et suivants du règlement général de l’AMF imposent aux personnes procédant à une offre au public de titres non cotés inférieure à 8 millions d’euros d’établir un tel document d’information synthétique devant être transmis à l’AMF. Cependant, la Position-recommandation AMF n° 2020-06 dispense d’établissement les personnes procédant à une telle offre relevant d’un « placement privé ». Cette dispense exige ainsi que chaque associé souhaitant céder des titres procède à une offre de vente qui répond à au moins l’une des quatre conditions précitées.

Terminons en rappelant qu’il est en pratique fréquent que les membres de sociétés familiales concluent entre eux un pacte Dutreil en application de l’article 787 B du CGI. Ce pacte, qui permet de réduire significativement l’assiette des droits de mutation à titre gratuit dus en cas de transmission de titres par voie de donation ou de succession, emporte néanmoins des contraintes, tenant notamment à des engagements de conservation, qu’il convient de prendre en compte lors de la mise en place d’une bourse interne.


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