La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Les conséquences fiscales indirectes d’une acquisition : un aspect souvent négligé

Publié le 21 juin 2024 à 15h21

CMS Francis Lefebvre Avocats    Temps de lecture 4 minutes

Par Johann Roc’h, avocat associé en fiscalité. Il accompagne d’un point de vue fiscal des groupes français et étrangers dans leur développement en France et à l’étranger, en matière de conseil mais également de contentieux.

A l’occasion de la structuration d’une acquisition, priorité est le plus souvent donnée à la gestion de l’impôt sur les sociétés, en régime de croisière, au travers de l’effet de levier. S’agissant des aspects fiscaux inhérents ou encore concomitants à l’acquisition elle-même, dans nombre de cas, seuls les aspects liés aux droits d’enregistrement sont le cas échéant traités, pour autant qu’ils soient pertinents (notamment en matière immobilière).

La question des conséquences fiscales indirectes d’une acquisition est en revanche souvent négligée. Par conséquences fiscales indirectes, il convient d’entendre non pas des questions de TVA mais bien toutes les conséquences fiscales éventuellement générées au niveau des filiales détenues hors de France de manière directe ou indirecte par la cible acquise. Il est ainsi le plus souvent fait référence aux conséquences fiscales induites, au sein de l’organigramme de la cible, par un « changement de contrôle ». Si de telles conséquences n’ont pas vocation à être générées dans tous les pays, il n’en demeure pas moins que nombre de juridictions à travers le monde ont prévu des dispositifs en cas de changement de contrôle, indépendamment du niveau où ce changement interviendrait dans l’organigramme.

Aux rangs des frottements communément rencontrés, figurent essentiellement la taxation des plus-values latentes afférentes aux titres des sociétés indirectement cédés, la perte des déficits reportables et les droits de mutation afférents auxdits titres.

Ainsi, à titre d’illustration, est-il possible de citer la taxe de mutation immobilière qui est déclenchée en Allemagne, en cas de cession indirecte des titres de sociétés allemandes détenant des actifs immobiliers (indépendamment d’une quelconque prépondérance immobilière ou encore de l’affectation des actifs en cause). Le seuil de déclenchement, pendant longtemps fixé à 95 % des titres, a été réduit à 90 % et un projet en discussion pourrait davantage le réduire. Dans une moindre mesure, certains Etats prévoient également, dans ce type de situation, l’application d’un « stamp duty » (équivalant à des droits de mutation) correspondant à un pourcentage de la valeur des titres des sociétés indirectement transférées (notamment Singapour). Des exceptions permettent dans certains cas d’échapper à de telles taxations, mais encore faut-il pouvoir démontrer localement que les conditions adéquates sont dûment réunies, ce qui peut nécessiter des analyses de comparabilité des droits des Etats concernés.

Mais le risque de frottement le plus significatif demeure la taxation des plus-values latentes afférentes aux titres d’une société, transférés de manière indirecte. Plusieurs Etats prévoient de tels dispositifs, avec différents niveaux de raffinement, à l’instar de la Chine ou, plus récemment, du Tchad. Indépendamment de la question de savoir si les conventions fiscales applicables, le cas échéant, autorisent une telle taxation, ou encore de la capacité à se prévaloir d’exceptions, ces dispositifs peuvent en tout état de cause être pour les acquéreurs la source de désagréments avec des autorités fiscales locales potentiellement peu accommodantes.

Enfin, pour parachever ce tableau, encore convient-il de mentionner le risque, en cas de changement de contrôle, de remise en cause des déficits reportables. Là encore, différents raffinements existent, et notamment la nécessité de devoir réunir d’autres conditions pour que le fait générateur soit constitué, outre le changement de contrôle (telles qu’un changement d’activité) ou encore des exceptions applicables dans certaines restructurations purement intragroupe.

Si la dimension des risques en cause varie considérablement selon les structures cibles, l’expérience invite néanmoins à appréhender ces frottements préalablement à l’acquisition afin d’anticiper au mieux les désagréments fiscaux postérieurement à l’acquisition. 


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