Le sort des actions de « follow-on » consécutives à des pratiques anticoncurrentielles en cas d’apport partiel d’actif
Par Vincent Lorieul, avocat counsel en droit de la concurrence et droit européen, intervient devant les autorités administratives (Autorité de la concurrence, Commission européenne, DGCCRF) et les juridictions commerciales et civiles. / et David Mantienne, avocat counsel en corporate/ fusions et acquisitions. Il intervient principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupes de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers.
L’apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions emporte transmission universelle du patrimoine de la branche apportée au profit de la société bénéficiaire. Cette dernière recueille ainsi, par l’effet de l’apport, l’ensemble des biens, droits et obligations attachés à cette branche. A ce titre, elle peut notamment voir sa responsabilité civile engagée à raison de fautes trouvant leur siège dans la branche apportée commises préalablement à l’opération.
Une exclusion de responsabilité inopérante à l’égard des victimes de pratiques anticoncurrentielles
Un arrêt récent de la Cour de cassation (1) est toutefois venu tempérer cet effet dans le cas d’une action en réparation dite de « follow-on » intentée par une victime de pratiques anticoncurrentielles (en l’occurrence, un abus de position dominante pour refus de vente discriminatoire condamné par l’Autorité de la concurrence).
Au cas d’espèce, une clause du traité d’apport partiel d’actif excluait expressément de son assiette « l’ensemble des droits et obligations liés à [une] procédure engagée par l’Autorité de la concurrence à l’encontre de la société apporteuse » pour violation du droit de la concurrence. Cette stipulation ne précisait toutefois pas si cette exclusion se limitait au seul paiement de l’amende infligée ou, au contraire, s’étendait - ce que le droit des sociétés permet - aux actions de follow-on.
Saisie de la question, la cour d’appel de Paris avait cantonné le champ d’application de la clause d’exclusion aux seules sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence. Elle refusait de l’étendre à la réparation du préjudice subi par les victimes de la pratique litigieuse, laquelle réparation restait donc sur les épaules de la société bénéficiaire.
La Cour de cassation censure ce raisonnement au terme d’une analyse qui vient rappeler la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit français des sociétés.
L’application du principe de continuité juridique
En droit européen de la concurrence, c’est en principe à la personne physique ou morale qui exploitait l’entreprise en cause au moment de la commission de l’infraction qu’il appartient de répondre de celle-ci, et ce même si cette exploitation est placée sous la responsabilité d’une autre personne au jour de la décision constatant l’infraction. La Cour de cassation en déduit que « la personne morale qui dirigeait l’exploitation de l’entreprise en cause [au moment de la commission de l’infraction] est tenue de réparer le préjudice causé par un abus de position dominante lorsqu’elle continue d’exister juridiquement ». Or, un apport partiel d’actif n’emporte précisément pas disparition de la société apporteuse : c’est donc à cette dernière qu’il incombe de répondre, en sus du paiement de l’amende infligée, des conséquences indemnitaires de l’infraction.
L’approche est logique : tant que la personne morale existe, le principe de continuité économique – applicable en cas de fusion – n’a pas vocation à être mobilisé. Celui-ci est en effet destiné à éviter que le recours à certaines opérations de restructuration ne permette d’écarter le prononcé de sanctions par les autorités de concurrence ou l’allocation de dommages-intérêts par le juge. Ainsi, l’entreprise dont les moyens humains et matériels ont concouru à une pratique prohibée par le droit de la concurrence encourt les sanctions attachées tant que sa personnalité juridique subsiste, et ce indépendamment de la cession ou du transfert desdits moyens.
Cette décision vient ainsi rebattre les cartes quant à l’efficacité des clauses d’exclusion de responsabilité en matière de pratiques anticoncurrentielles stipulées dans les traités d’apport partiel d’actif. Si de telles clauses peuvent conserver un intérêt dans les relations entre apporteur et bénéficiaire, elles sont en revanche inopérantes à l’égard des victimes des pratiques sanctionnées, qui peuvent donc obtenir réparation de leur préjudice auprès de l’entité apporteuse.
1. Cass. com. 20 mars 2024, n° 22-11.648 FS-B.