La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Mars 2019

Droit de veto et contrôle d’une société : un couple dissociable

Publié le 22 mars 2019 à 16h17

Jean-Charles Benois, Arnaud Hugot et Virginie Coursière-Pluntz

Le recours très fréquent à la société par actions simplifiée (SAS) dans la structuration des opérations de private equity, la mise en place des pactes d’associés dans ces opérations, comme le recours plus fréquent aux golden shares au profit des banques dans la structuration des security packages, ont conduit à constater une multiplication des situations dans lesquelles le pouvoir politique au sein d’une société n’est pas l’exact reflet de la participation capitalistique.

Par Jean-Charles Benois, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity. jean-charles.benois@cms-fl.com , Arnaud Hugot, avocat associé en corporate/fusions & acquisitions. Il assiste des industriels, des fonds d’investissement et des managers dans le cadre de tous types d’opérations de fusion-acquisition et de private equity, tant nationales qu’internationales. arnaud.hugot@cms-fl.com et Virginie Coursière-Pluntz, avocat counsel en droit de la concurrence. Elle intervient plus particulièrement en accompagnement de dossiers transactionnels et/ou internationaux. virginie.cousiere-pluntz@cms-fl.com 

Le droit de veto figure parmi les instruments utilisés aux fins de renforcer le pouvoir politique d’un actionnaire par ailleurs minoritaire. S’il paraît constituer le Graal permettant à son bénéficiaire de devenir incontournable dans la gouvernance de la société émettrice, il ne permet pas toujours de disposer du contrôle de la société et peut simplement traduire une position défensive ayant pour objet principal de protéger son titulaire contre une altération de son patrimoine.

Les caractéristiques du droit de veto et ses limites

Le droit de veto s’entend classiquement de la faculté reconnue à une ou plusieurs personnes de s’opposer à une décision d’un organe social. Il peut s’appliquer aux décisions réservées aux associés, dans les statuts, en particulier dans les SAS ou les sociétés civiles, qui laissent une large place à la liberté contractuelle. Le droit de veto s’applique également couramment aux décisions des organes de gestion et peut être institué par voie statutaire, par l’attribution d’actions de préférence (au moins dans les SAS) ou plus fréquemment au sein des pactes d’associés. Ainsi, la négociation des droits de veto lors d’une opération d’investissement constitue souvent l’un des points centraux des discussions afin de trouver un équilibre entre la légitime volonté d’un investisseur de pouvoir contrôler la gestion et les décisions importantes de la société, tout en laissant suffisamment de liberté aux dirigeants pour gérer efficacement et sans contrainte excessive le cours normal des affaires.

Cette faculté consentie à une ou plusieurs personnes comporte cependant diverses limites. Une première a trait au champ d’application du veto, qui doit être restreint à certaines décisions, sous peine de risquer de s’inscrire en violation de l’intérêt social, de paralyser la gestion de la société en donnant lieu à des situations de blocage, voire de créer, pour le bénéficiaire, un risque de se trouver en situation de gestion de fait résultant d’une trop grande implication dans les décisions de gestion. Une autre limite concerne la portée performative limitée du droit de veto, dès lors qu’il peut être neutralisé par le droit identique dont sont susceptibles de disposer d’autres associés ou dirigeants (typiquement, deux co-gérants au sein d’une société civile) et, qu’en tout état de cause, il ne peut conduire qu’à s’opposer à une décision ou à sa mise en œuvre, mais pas à imposer une orientation. Enfin, le droit de veto peut être limité dans son efficacité. En effet, lorsque celui-ci s’applique aux décisions de gestion, une décision prise en violation d’un droit de veto engagera la société à l’égard des tiers. Le recours du bénéficiaire du droit de veto est alors limité à la mise en cause de la responsabilité du dirigeant et de la société, mais la décision ne pourra pas être annulée. Une efficacité renforcée pourra être trouvée dans les SAS pour les droits de veto sur les décisions d’associés figurant dans les statuts ou créés en vertu d’actions de préférence, ces décisions pouvant être annulées si elles ont été prises en violation d’une disposition statutaire1.

Le droit de veto ne donne pas toujours le contrôle

Les limites du droit de veto sont à la source du caractère contrôlant ou simplement patrimonial que celui-ci revêt au sein des groupes, en particulier dans les opérations de private equity. De manière générale, et sous réserve naturellement des faits de chaque espèce, lorsqu’il est consenti au profit d’un minoritaire qui ne peut en faire usage qu’à l’occasion d’un nombre limité de décisions fondamentales2, le droit de veto revêt un simple caractère patrimonial, son objet étant alors de protéger son bénéficiaire contre les pertes de valeur qu’induiraient certaines décisions de gestion malheureuses. A l’inverse, un droit de veto étendu détenu par un unique associé est susceptible de consentir à ce dernier le contrôle sur la société émettrice.

La distinction est fondamentale dans un certain nombre de matières juridiques, depuis le droit fiscal jusqu’au droit de la concurrence, en passant bien entendu par le droit des sociétés voire le droit social.

• Droit fiscal

L’application de nombre de dispositifs dépend de l’existence ou non d’un lien de contrôle entre deux personnes, l’identification d’un tel contrôle ne répondant par ailleurs pas toujours aux mêmes critères de qualification.

Pour apprécier l’application ou non de l’ancien comme du nouveau dispositif de lutte contre la sous-capitalisation, l’appréciation des liens de dépendance entre deux entités peut notamment découler de l’«exercice en fait du pouvoir de décision». Le point de savoir si le droit de veto permet de disposer du pouvoir de décision est une question de fait et son champ d’application sera, à cet égard, décisif pour déterminer si celui-ci a une portée contrôlante ou non. On notera néanmoins avec intérêt que lorsque deux associés indépendants l’un de l’autre disposent chacun d’une participation de 50 % dans une même société, la position traditionnelle de l’administration fiscale est de considérer qu’aucun des deux associés ne contrôle l’entité émettrice. Autrement dit, une simple faculté de blocage (comme l’est également le droit de veto) ne peut caractériser une relation de contrôle.

Le droit fiscal peut parfois faire directement référence à une notion de contrôle définie dans une autre matière juridique, comme c’est le cas du dispositif dit de l’amendement Charasse qui renvoie explicitement à la notion de contrôle telle que définie par l’article L.233-3 du Code de commerce, lequel liste les situations de contrôle sans y inclure en tant que telle la détention de droits de veto.

• Droit de la concurrence

En matière de concurrence, où le contrôle se définit par la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la stratégie de l’entreprise en raison du pouvoir que détient un actionnaire d’adopter ou de bloquer seul certaines décisions, on s’intéressera davantage à la nature des droits de veto négociés par les minoritaires.

Un droit de veto sur les décisions stratégiques de l’entreprise, qu’il soit exprès ou qu’il découle d’une obligation d’unanimité ou d’une règle de majorité, est susceptible de conférer à son titulaire un contrôle conjoint au titre du contrôle des concentrations. Cela peut conduire à devoir notifier des prises de participation très minoritaires – voire même des investissements dénués de participation (de type mezzanine) – qui s’accompagneraient de tels droits de veto.

Les autorités de concurrence utilisent la méthode du faisceau d’indices : plus les droits de veto dont le minoritaire bénéficie sur des décisions stratégiques sont nombreux, plus il est probable qu’il sera considéré comme étant en co-contrôle. Les décisions considérées comme stratégiques sont principalement celles qui concernent le budget, le business plan, les investissements (hors investissements d’une ampleur telle que le droit de veto relève de la simple protection des intérêts financiers des minoritaires), la nomination et la révocation des administrateurs de la société et l’encadrement supérieur.

Toutefois, l’analyse de la gouvernance et des droits de veto n’est que le premier degré d’analyse d’un contrôle conjoint du minoritaire. Si elle n’est pas concluante, elle sera complétée par la prise en compte d’autres indices tels que la détention de droits particuliers sur l’activité commerciale, la possibilité de monter dans le capital ultérieurement ou l’influence obtenue par un financement déterminant pour l’entreprise.

1. Article L.227-9 du Code de commerce.

2. Par exemple, sur des décisions ayant un effet significatif sur la valeur des actions dont est propriétaire son titulaire.


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Validité, efficacité et conséquences des conventions de vote

David Mantienne

La notion de convention de vote recouvre la grande variété des accords – et tout particulièrement les pactes extrastatutaires – par lesquels tout ou partie des associés ou des membres d’un organe collégial d’une société s’obligent à voter dans un sens déterminé ou à ne pas prendre part au vote. Il peut par exemple s’agir d’organiser la composition des organes de direction ou d’assurer la mise en œuvre d’une politique déterminée en matière d’investissement ou de distribution de dividendes.

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