La notion de convention de vote recouvre la grande variété des accords – et tout particulièrement les pactes extrastatutaires – par lesquels tout ou partie des associés ou des membres d’un organe collégial d’une société s’obligent à voter dans un sens déterminé ou à ne pas prendre part au vote. Il peut par exemple s’agir d’organiser la composition des organes de direction ou d’assurer la mise en œuvre d’une politique déterminée en matière d’investissement ou de distribution de dividendes.
Par David Mantienne, avocat counsel en corporate/fusions & acquisitions. Il intervient principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupes de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers. david.mantienne@cms-fl.com
Ce faisant, ces conventions viennent potentiellement heurter le dogme de l’exercice libre et indépendant du droit de vote.
Le législateur ne reconnait qu’implicitement la licéité de ces conventions à travers les références qu’y fait le Code de commerce1. La jurisprudence en a pour sa part expressément reconnu la validité sous réserve que trois conditions soient satisfaites2. D’abord, ces conventions doivent résulter du consentement éclairé de leurs signataires. Ensuite, elles ne doivent pas contrevenir aux dispositions d’ordre public. Tel serait le cas d’une convention emportant cession du droit de vote3 ou portant atteinte au principe de libre révocabilité des dirigeants sociaux. De même un associé ne peut-il renoncer définitivement à son droit de vote en vertu d’un engagement illimité dans le temps ou quant à son objet. Enfin, ces conventions ne doivent pas aboutir à des votes contraires à l’intérêt social, lequel est a priori préservé lorsque les accords visent à permettre la mise en œuvre d’une politique pérenne pour la société en assurant les majorités stables requises à cet effet.
En faisant de l’exécution en nature la sanction de principe de la violation de toute obligation de faire, l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations est venue conforter l’exécution forcée des conventions de vote4. Relevons que cette exécution forcée se heurte cependant à une première difficulté tenant au fait que ces conventions sont inopposables aux tiers (fussent-ils associés) et à la société concernée, sauf pour celle-ci à y avoir participé.
Le fait, pour une partie à une convention de vote, de ne pas voter dans le sens convenu peut avoir pour effet soit le rejet d’une décision qui aurait dû être adoptée si la convention avait été respectée, soit l’adoption d’une décision qui n’aurait pas dû l’être. Dans le premier cas, l’exécution en nature peut se concevoir5 par application de la sanction que retiennent les juges en matière d’abus de minorité : réticents à prononcer des arrêts valant vote, ceux-ci désignent un mandataire ad hoc appelé à voter à la place du bloc minoritaire. Le second cas est plus épineux car l’exécution en nature impliquera que soit annulée la délibération litigieuse, pourtant valablement adoptée au regard de la loi et des statuts. Or, il sera difficile de trouver un fondement à la nullité recherchée compte tenu du régime très restrictif des nullités en droit des sociétés. Cette faiblesse milite pour que des palliatifs contractuels, tels que la stipulation d’une clause pénale par exemple, soient prévus par la convention.
S’obliger au travers de conventions de vote n’est pas dépourvu de conséquences. Lorsque la société concernée par la convention est cotée et que l’accord conclu caractérise une action de concert, les parties à la convention se verront astreintes à l’obligation de déclaration des franchissements de seuils, voire à celle de déposer des offres publiques obligatoires. En outre, l’existence d’une action de concert, dès lors qu’elle permet à plusieurs associés d’adopter ou de bloquer ensemble des décisions sociales stratégiques, est susceptible de conférer aux associés concernés un contrôle conjoint sur la société. Pour autant que les seuils de notification soient franchis, l’action de concert peut avoir à être notifiée auprès des autorités de concurrence au titre du contrôle des concentrations.
1. Cf. notamment les articles L.233-3 et L.233-10 du Code de commerce, en matière respectivement de notion de contrôle et d’action de concert.
2. Voir notamment CA Paris, 4 décembre 2012, n° 11/15313.
3. Cf. article L.242-9 3° du Code de commerce qui sanctionne pénalement le trafic de voix.
4. En lieu et place de l’allocation de dommages et intérêts (article 1221 du Code civil).
5. Ainsi que l’ont déjà esquissé les juges du fonds (CA Paris,
30 juin 1995, n° 93/27606).