Une ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Paris en date du 9 octobre 20201, confirmée par la cour d’appel de Paris2, a ordonné la suspension de l’opération résultant de l’offre d’acquisition par Veolia des actions de son concurrent SUEZ détenues par ENGIE, ainsi que de l’OPA3 à venir de Veolia sur SUEZ. Un éclairage intéressant sur les obligations d’information consultation en cas d’opération de cession.
Par Pierre Bonneau, avocat associé en droit du travail et protection sociale (pierre.bonneau@cms-fl.com).
La notion de «projet suffisamment abouti»
Dans sa tentative de prise de contrôle de SUEZ, et avant d’engager une OPA, Veolia a tout d’abord voulu acquérir la participation minoritaire (29,9 %) qu’ENGIE détenait dans SUEZ. Les comités sociaux et économiques (CSE) de SUEZ ont cependant demandé à être consultés sur cette première opération et saisi le tribunal judiciaire de Paris à cet effet. Veolia et ENGIE ont contesté cette position en arguant qu’une prise de participation minoritaire n’imposait pas une consultation préalable des CSE, à la différence de la cession de contrôle qui suppose que le volume des actions cédées soit suffisamment important pour placer la société sous la dépendance d’une autre4.
Suivant la position des CSE de SUEZ, les magistrats ont considéré que la prise de participation litigieuse s’inscrivait dans un projet plus global de prise de contrôle de SUEZ. Ce faisant, ils ont rejeté l’argument selon lequel l’existence d’un projet global constitué de plusieurs étapes successives impose seulement que le CSE soit consulté avant chaque nouvelle étape5, sans exiger une consultation anticipée sur les phases à venir du projet.
«Les magistrats se sont néanmoins affranchis de ces considérations en faisant prévaloir une obligation de transparence impliquant la consultation anticipée des CSE de SUEZ, avant le dépôt effectif de l’OPA.»
Une dérogation aux règles d’information-consultation en cas d’OPA
A également été écartée la règle spéciale selon laquelle le CSE de l’entreprise cible n’est consulté qu’une fois effectué le dépôt de l’OPA, par dérogation au principe préalable de la consultation6.
Dans le cas présent, si l’OPA de Veolia sur SUEZ avait été annoncée par voie de presse, elle n’avait en effet pas encore été déposée.
A cet égard, l’autorité des marchés financiers a justement estimé que les déclarations de Veolia dans la presse n’équivalaient pas au dépôt d’une OPA.
Les magistrats se sont néanmoins affranchis de ces considérations en faisant prévaloir une obligation de transparence impliquant la consultation anticipée des CSE de SUEZ, avant le dépôt effectif de l’OPA.
Autre apport intéressant de ces décisions, il n’a pas été tenu compte du fait que SUEZ n’a pas de pouvoir décisionnaire sur les opérations envisagées, n’y étant pas partie prenante.
La procédure ordonnée par les magistrats apparaît dépourvue d’effet utile dans la mesure où SUEZ ne pourra tirer aucune conséquence de l’avis exprimé par ses CSE. Il est ainsi singulièrement ordonné à Veolia de transmettre à SUEZ les «informations nécessaires à l’information et à la consultation des instances représentatives du personnel».
Cette injonction de communiquer revient à faire peser la responsabilité de la remise d’informations non pas sur la société débitrice de l’obligation d’information-consultation (SUEZ) mais sur des tiers (ENGIE et Veolia) qui seront du reste les seuls à pouvoir faire évoluer leur projet à la faveur des avis des CSE de la cible.
Il est ainsi pour le moins incongru de voir des CSE solidaires de leur direction dans leur opposition à un projet de rachat en sollicitant sa suspension via leur droit à être consultés.
A moins que ne cesse l’opposition à cette opération de rapprochement, cette procédure de consultation, dont le bon achèvement relèvera de la gageure, donnera probablement lieu à de nouveaux développements judiciaires.